What happens in Vegas...stays in Vegas! ◆ APPLE

what happens in vegas...stays in vegas!

« People always pretend to be straight. If they don’t, they fear to be judged. Being different is nowadays a curse nobody can’t escape. Now, would you judge or be judged? »

Birthday, Birthday, Birthday… Qu’allait faire cet animal loin de sa terre natale ? Un tel monstre se doit de rester cloîtré chez soi à longueur de journée, sinon il effraie le peuple ! Eh bien aujourd’hui, le monstre allait effrayer le peuple terrien. Eh oui, pour la première fois de sa vie, le jeune travesti de dix-sept ans quittait AutreMonde pour la Terre, la planète bleue, la planète mère de tous les êtres humains.

Ce voyage était sans doute symbolique : un nouveau départ. Birthday avait finalement compris, au bout de deux ans, qu’aimer son maître était peine perdue et que jamais sa vive passion ne lui serait retournée comme il s’y attendait depuis le premier jour. C’est bien beau, de rêver. Alors il avait voulu s’éloigner de la Forteresse Grise pour quelques jours, voire quelques semaines, enfin, si la chose était possible. Même s’il s’était résigné vis-à-vis son amour pour le grand Magister, son allégeance, elle, n’avait pas changé. Il allait demeurer un Sangrave, parce qu’il savait, il sentait du moins, qu’il avait sa place parmi les sortceliers gris. Il n’était pas assez fou et stupide pour tous les trahir, de toute façon. Et puis, il y avait Ava Rox. Son amie. Sa première en ce monde. La seule qui avait su l’accepter comme il était. Il agissait parfois étrangement en sa compagnie, en pointant sur son ventre bombé par sa grossesse un poignard affilé par exemple, mais au fond, elle était son amie. Il était heureux de savoir que, s’il allait mal, il y avait quelqu’un, pour lui, qui serait là, à le soutenir moralement, à le conseiller. C’était ce que faisaient les amis, non ?

Il avait porté son choix de voyage sur la Terre, parce que tout y était différent d’ici. Les coutumes, la culture, la langue… tout. Birthday sourit en pensant à Ava qui lui avait dit qu’elle l’emmènerait à Paris pour « faire les boutiques ». Drôle d’expression, quand même, quand on y pensait. Mais bon, ce n’était pas là qu’il se rendait. Paris était… tellement… conventionnelle. Trop conventionnelle pour lui. Non, lui, il était un marginal, il avait besoin d’excentricités. Il avait pensé au Japon, où on lui avait assuré qu’il ne pouvait pas s’ennuyer. Mais avait finalement fixé son choix sur une certaine grande ville terrienne. Où il était sûr de rencontrer des gens… comme lui.

Vêtu d’un corset serré sous une robe rouge vin, le jeune homme avait pris soin de se maquiller avant de sortir dehors. Il tenait à être prêt lorsqu’il poserait le pied sur Terre. Sa peau avait été blanchie grâce à un délicat fond de teint et ses grands yeux céruléens étaient soulignés par du eye-liner noir. Ses longs cheveux foncés avaient été légèrement bouclés et tombaient en cascade sur ses frêles épaules. Ses pieds étaient chaussés de petites ballerines étroites. Certains garçons manqués auraient hurlé d’horreur rien qu’à l’idée d’adopter un style aussi féminin, mais lui ça ne le dérangeait pas. Pire, encore, ça lui plaisait. Évidemment, c’était fort peu pratique pour se battre, mais il allait sur Terre, non sur un champ de bataille. Néanmoins, il avait glissé dans une poche secrète de sa robe quelques poignards. Juste au cas où.

Lorsqu’il arriva à la Porte de Transfert du Lancovit, il y avait foule. Tant mieux. Moins on le remarquait, mieux c’était. Et Dieu savait à quel point il ne passait pas inaperçu ! Alors se plonger dans la foule l’arrangeait bien. Il fit la file, comme les autres et quand ce fut son tour, il s’écria d’une voix claire :

« Las Vegas, Nevada, États-Unis, Terre ! »

Il y eut un tourbillon, tout devint noir, il ferma les yeux… lorsqu’il les rouvrit, il se trouvait… en pleine ruelle. L’adolescent soupira et entreprit de se sortir de là. Il marcha et arriva littéralement dans un village de magasins. Dans chaque commerce une musique estivale jouait et… oh, seigneur ! Des gens, des gens, des gens, partout ! Des touristes, pour la plupart, mais aussi des gens du coin. Birthday sourit. Il avait beau être différent et marginal, ici, personne ne faisait attention à lui ! Il était à Vegas, quoi, où tout pouvait arriver ! S’il voulait se taper une pute, ben il le pouvait. S’il voulait se saouler jusqu’à vomir, ben il le pouvait aussi.

Il se mit à marcher sur le large trottoir, suivant la masse de gens. Tout le monde parlait, riait. Des gens se baladaient avec des verres géants d’alcool. Des hôtels thématiques d’une dizaine d’étages l’encerclaient. Le soleil tapait fort et lorsqu’il consulta l’heure, il constata qu’il était midi. Merde, pourvu qu’il n’attrape un coup de soleil ! Il passa près d’une espèce de piscine creusée géante dans laquelle s’élevaient des colonnes d’eau, qui se balançaient au rythme de la musique.

Cet endroit était… magique. Tout pouvait exister, ici. Il n’y avait plus de règles, plus de conventions, plus d’interdits. Il ne regrettait absolument pas d’être venu ! Puis, il décida d’entrer dans un des hôtels. De toute évidence, on pouvait y entrer et en sortir à sa guise. Birthday poussa les portes du « Paris ». Il marcha un peu et crut se trouver dans la fameuse capitale de la France… en miniature, bien sûr. Les murs ressemblaient à des devantures de commerces et le drapeau français trônait un peu partout. Bientôt, il finit par entrer dans la partie clichée de Vegas : le casino ! Le casino de l’hôtel était bondé. Des gens fumaient, buvaient tout en discutant et en jouant aux machines ou aux cartes. Une musique de jazz jouait d’on ne savait où. Birthday n’avait bien sûr pas encore vingt-et-un ans, l’âge de la majorité dans ce pays, mais en avait cependant l’apparence. Pourquoi ne pas tenter sa chance aux machines ? Et puis après, peut-être pourrait-il prendre un verre. L’alcool terrien semblait si… exquis !

Le jeune travesti, donc, se dirigea vers les machines lumineuses. Il plongea sa main dans sa poche et en sortit de l’argent terrien. Il glissa un billet dans la fente réservée à cet effet et abaissa la manette. L’écran de l’appareil s’anima et Birthday fut invité à sélectionner une carte à jouer. Il opta pour l’as de cœur et appuya sur Play. Nouvelles animations et… zut, sa carte n’était pas bonne; il avait perdu. Dommage. Le travesti soupira. De toute évidence, cette machine n’était rien de moins qu’une vulgaire voleuse ! Ça lui apprendra, aussi, à tenter sa chance…

Il tourna les talons pour explorer l’hôtel quand soudain, un grand homme costaud l’aborda dans une langue tout à fait étrangère :

« Hai, ouar’ya doin’hir, yion’ lédi? Ryou twainey’wane? »

Était-il malade ? Inquiet, Birthday battit en retraite. Il aurait été brillant d’utiliser un Traductus, mais sa nature d’espion lui dictait de ne pas attirer l’attention. Or, l’utilisation de la magie sur Terre éveillait forcément les soupçons et… l’attention. De plus, il était recherché par les autorités autremondiennes car il était soupçonné de plusieurs délits, notamment le meurtre de ce sortcelier aux cheveux bouclés. Il serait bête d’attirer les projecteurs sur lui. Alors, Birthday s’était éloigné, mais l’homme, sans doute un garde du corps, continuait de l’interpeller :

« So yournot? Hai, am tokkin to yo! »

Bon, valait certainement mieux sortir de cet endroit toqué. Certaines personnes le dévisageaient, à la fois curieux et désintéressés. Birthday haussa les épaules. Il sortit du casino, légèrement frustré de n’avoir rien pigé du curieux langage de l’homme. Parlait-il donc tous comme cela sur Terre ? Voilà qui n’était pas très encourageant. Passer des vacances dans un pays étranger lorsque vous ne parlez pas la langue locale : une excellente idée, en effet !

C’est alors que le Sangrave remarqua une scène assez insolite. Un homme, sans doute sous l’emprise de l’alcool, tenait prisonnière de son bras puissant une jeune femme, peut-être de son âge. De toute évidence, il voulait s’amuser avec elle… Rien de mal là-dedans, non ? Le problème, c’est que ladite jeune femme semblait apeurée. Elle tentait, tant bien que mal, de se défaire de l’emprise de l’homme; mais en vain. Elle était dans de beaux draps, la pauvre… Héhé. Cependant, lorsque l’homme remarqua cette jeune femme très féminine – qui n’en était pas vraiment une, soit dit en passant – il l’aborda de manière grossière :

« Oh, poupée ! Tu m’as l’air délicieuse ! »

Ah, tiens, il comprit ce que signifiaient ces mots. Pourquoi, avec l’homme du casino, n’avait-il rien compris ? Très, très étrange. Le travesti pouvait se montrer soumis, mais seulement avec les personnes qu’il respectait et admirait. Or, ce Nonso était bien la dernière personne au monde et au-delà qu’il admirerait ! En plus, il n’était ni soigné, ni attirant. Une ordure, en somme. Bon, que ce pervers se tape la fille, il s’en fichait bien, mais lui, il ne comptait pas se laisser faire.

« Et toi, tu m’as l’air bien dégoûtant. » répondit-il avec un sourire moqueur.

Il n’avait pas pris la peine de s’exprimer avec un timbre de voix aigue et cela contrastait bizarrement avec son apparence féminine. Sa voix au naturel était douce, mais grave. Et légèrement sensuelle. Au moins, il saurait qu’il n’avait affaire pas affaire à une fille. Bon, il était mal barré si le type se révélait être bisexuel, mais Birthday était prêt à courir le risque.

Le mec laissa finalement partir la fille, un sourire mauvais défigurant ses traits. Il voulut poser ses sales pattes sur les épaules du travesti, mais ce dernier, excellant au combat physique, eut le réflexe de lui décocher un coup de poing bien senti dans la gueule. Dans tes dents, sale con ! Avec de la chance, ça allait le libérer pendant un moment de son état d’alcoolisme avancé… Ou pas. Le pervers alcoolique tomba à la renverse. Ses gestes et réflexes à lui étaient considérablement affaiblis et il peina à se remettre sur ses jambes. Il dévisagea, confus, ce travesti de peut-être un mètre soixante, qu’il dominait aisément, mais qui dégageait un il-ne-savait-pas-quoi de puissant. Il était… dangereux. Flippant, tout ça. C’est pourquoi il préféra se barrer, tout simplement.

Birthday sourit en le voyant disparaître à travers la foule. Des gens s’étant attroupés autour d’eux, il précisa, pince-sans-rire :

« Ne vous inquiétez pas, c’était un sketch monté par lui et moi. »

Sur ce mensonge qui aurait en une seconde défiguré Pinocchio, le Sangrave fit une courbette ironique. Certains applaudirent et prirent même des photos. Amusé, Birthday prit la pose sous les flashs. Après un temps, il se lassa cependant et tourna les talons sans un mot. Il s’approcha de la jeune femme, la victime du pervers. Il ne prononça pas un mot, se contentant de la regarder fixement. Pourquoi n’avait-elle pas fui les lieux ? Pourquoi était-elle restée là ? Les Nonsos avaient de drôles de comportements, vraiment !

La jeune femme semblait clairement intimidée. Désemparée, elle le fixait, comme lui la fixait. Oh, trop mignon.

Le travesti n’avait pas eu envie de prendre la parole le premier. Il attendait… un remerciement, sans doute. C’était ce que les gens normaux disaient lorsqu’on venait de leur sauver la vie, non ? « Merci. » Un simple et banal mot. Bien sûr, l’étrange garçon n’avait pas fait cela pour elle, mais bien parce que l’homme bourré menaçait de s’en prendre à lui. Le jeune Sangrave n’était pas un individu altruiste, il n’était pas Mère Theresa, quoi. Derrière chacun de ses gestes se cachait une intention ou une manipulation fourbe quelconque. Curieux jeu de pouvoir que tout cela.

Finalement, la demoiselle s’inclina devant lui. Ah, comme dominer était jouissif ! C’était bien cela. Il était debout, elle s’était baissée devant lui. Comment qualifier autrement cette situation ? En tout cas, le jeune homme était ravi de constater que sur Terre, s’incliner faisait ici aussi partie des usages. C’était bon à savoir. Peut-être, qu’après tout, les mœurs et coutumes de cette planète si différente d’AutreMonde n’étaient pas si compliquées à apprendre et à apprivoiser, s’il pouvait s’exprimer ainsi.

Le drag-queen laissa échapper un rire amusé. Il se força à retrouver sa voix féminine, qui lui allait à merveille, et répondit posément :

« En tout cas, tu te serais fait violer à coup sûr, chérie. »

Comme à son habitude, pas de politesse, ni aucune intonation choquée dans sa voix. Et cette douce arrogance qui lui allait si bien. Bien sûr, la dureté de ses paroles en aurait mis plus d’un mal à l’aise, mais il s’en moquait bien. La vérité était ce qu’elle était, après tout. L’homme bourré n’avait de toute évidence pas l’intention de danser la claquette avec elle.

Le Sangrave ne lui sourit pas, mais la dévisagea. Il se demandait qui était-elle. Une sotte terrienne, probablement. Mais encore ? Il ne savait pas pourquoi, mais il sentait qu’elle avait quelque chose en elle. Quelque chose qu’il connaissait bien, mais qu’il ne parvenait pas à reconnaître. Comme s’ils étaient liés depuis des siècles et qu’ils venaient de se retrouver. Ô romance, comme tu pues l’ennui de vivre et la souffrance !

La fille frissonna et le garçon en conclut qu’elle était mal à l’aise ici. Ce qu’elle lui dit ensuite le renforça dans sa théorie, de même que son sourire qui semblait faux. Le travesti ne put s’empêcher d’éclater de rire. Il avait l’air d’un vrai psychopathe vu comme ça – et il n’en avait pas juste l’air, soit dit en passant – et tenta de la retenir :

« Oh, allons ! Tu m’as l’air sympa… et je viens de te sauver la vie, en plus. » Vive la manipulation, songea-t-il sans remords. « J’aurais besoin de passer à la salle de bain, moi… Quelle horreur, regarde mes cheveux ! »

Il se passa une fine main dans sa chevelure foncée en grimaçant de dépit.

« J’espère que tu n’as pas peur de moi, hein ? » ajouta-t-il, taquin.