La voie du guerrier sage

Une vielle légende terrienne affirme que méditer sous une cascade permet de trouver la paix intérieure, la sérénité, le calme absolu. Cela permettrait d’emprunter la voie du guerrier sage. A son image, j’étais assise sous les torrents d’eau, le dos droit et la poitrine bombée en une posture fière, et surtout pour ne pas me faire entrainer par les flots. Derrière moi se trouvait une grotte, cachée par le rideau formé par l’eau, et dont j’étais, à ma connaissance, la seule propriétaire.

Il y a longtemps, j’étais venue ici pour une mission, ou du moins, j’avais traversé les plaines au-dessus de la grotte, et m’étais arrêtée prendre un bain dans l’eau. Comme j’étais, et je le suis toujours, une grande gamine, je m’étais laissée allègrement emportée par le courant, jusqu’à me retrouver 20 mètres plus bas. Là, j’avais nagé sous le torrent et découvert la grotte, que j’avais immédiatement investie. En même temps, il s’agissait d’un repère parfait. J’y avais installé des mannequins d’entrainement et de quoi survivre sommairement, un matelas relativement confortable, histoire de soulager mon dos après une journée d’entrainement, des cageots de fruits, quelques bricoles.

Il était nécessaire pour moi de m’occuper l’esprit, alors je venais ici pour me défouler, et retrouver la paix.

 
 
 

D’un coup, le flot se fait étrange, mes épaules reçoivent différemment le torrent de la cascade. Je risque un regard vers le haut, en plissant les yeux pour ne pas être aveuglée par les gouttelettes. Quelque chose est effectivement en train de tomber, et rapidement en plus !

La trajectoire de l’objet nageant non-identifié fit sortir ce dernier de l’eau, et le projeta en parallèle à la cascade. Je distinguais une forme humaine, les jambes ramenée contre la poitrine en une position fœtale adaptée à la chute. Qui allait se terminer en plat.

Je sorti de mon état de zénitude total ou presque pour plonger au secours de la personne qui venait de tomber et la sortir le plus vite possible de l’eau. Elëor à Malibu jvous jure. Je déposai le naufragé dans l’herbe, au bord de l’eau, et commençai à presser mes mains sur sa poitrine, pour lui faire cracher l’eau qu’elle avait pu avaler. Il s’agissait d’une fille, une jeune fille, la vingtaine maximum, avec un visage au teint de porcelaine parfait, lisse, mais que la noyade avait rendu livide, encadré par des cheveux que l’eau avait rendu violets.

Elle se redressa pour recracher l’eau, et darda sur moi un regard froid de haine.

Trempée jusqu’aux os. Voilà dans quel état je suis. Pourtant, le voyage jusqu’en bas de la chute d’eau m’a semblé paisible, j’ai apprécié couler comme une pierre dans les abysses peu profond de la rivière, me laisser porter par le courant glacial, dans un état proche du sommeil. Pourtant, le réveil est brutal, forcé même, par une étrangère qui me parle d’une voix douce pour connaître mon état. Je me redresse et vide mes poumons de l’eau que j’ai avalée. Je toussote. Mes sens me reviennent tour à tour. Odorat. Une humaine. Toucher. De l’herbe sous mes mains. Ouïe. Une voix chaleureuse piquée de panique. Goût. Je me suis mordue la joue. Vue. Une femme à poil, ou presque, juste devant moi.

 
 
 

Presque immédiatement, la jeune fille que je venais de secourir bondit en arrière. Elle le regretta presque immédiatement. Elle s’était accroupie, mettant presque tout son poids sur ses jambes, et notamment sur sa cheville enflée. Elle devait se l’être tordue. Quelque chose d’animal passa dans ses prunelles bleues et elle feula comme un vrrir menacé. Je pus entrapercevoir des canines acérées, celles d’une vampyr, clairement.

Elle n’avait pas l’air de vouloir d’aide, pourtant, elle en avait besoin, à moins de pouvoir contrer le problème du Reparus, c’est-à-dire qu’une personne tierce doive le lancer. Je décidai d’opter pour un comportement à son image. La bienveillance ne lui convenait pas, soit. Plaquant sur mon visage un masque d’impassibilité, je m’adressai à la vampyr.

— Viens-là, je vais te soigner, pas te bouffer, ce serait toi la plus susceptible de le faire d’ailleurs.

Mon interlocutrice grimaça. Elle ne devait pas porter les BSH dans son cœur. Je soupirais :

— Je vais avancer doucement et activer ma magie pour appliquer un Reparus sur ta cheville, d’accord ?

Constatant que le spectacle que j’offrais avait quelque chose de douteux, j’incantai de sorte à me retrouver avec un peu plus de tissus sur la peau, et avançai prudemment vers la jeune vampyr.

Dans ma tête, je me voyais déjà lui déchirer la gorge, à cette sale humaine. Elle avançait vers moi, mais de quel droit ? Elle voulait que je suis croque les doigts elle. « N’aies pas peur » semblait-elle vouloir dire avec ses yeux, comme si j’avais peur de toi. C’est pas moi la faible humaine dans tout ça. « Je vais te soigner ».

— J’ai pas besoin de ton aide, lui crachai-je au visage.

Je suis une grande fille, pourquoi est-ce que tout le monde cherche à me pouponner comme ça. C’est bon merde à la fin, je n’ai peut-être pas l’air terrible, je fais peut-être pas peur, mais je suis une foutue vampyr et ça, ça devrait au moins flanquer la trouille ! Peut être que je devrais me raser la tête, un de ces quatre, me faire une crête bizarre, noire, sur le milieu du crâne, me faire tatouer de partout, et on me prendrait enfin au sérieux ! Quoique.

Elle ne recule pas. Je siffle. Si mes yeux avaient pu être des tanks, des lance flamme, des révolvers, des bombes nucléaires ou je ne sais quelle invention à la con, elle serait déjà morte des centaines de fois. Je recule en rampant.

— M’approche pas ou j’te bouffe.

Elle ricane. Je ne lui fais pas peur. Je la détaille : grande, brune, musclée et à la démarche souple. Non, clairement, même avec une cheville en bon état je ne ferais pas le poids.

Foutu corps, toujours à tout faire foirer.

En la voyant réagir comme un furet apeuré, cependant plein de fierté, je ricanai, avant de répondre à sa menace enfantine, en m’accroupissant prêt d’elle :

— Me bouffer ? Je vois bien que tu es une vampyr, mais je doute que tu puisses rivaliser avec mes compétences et ma condition physique.

Je ne me vantai même pas, ce n’était pas mon genre, je mettais simplement les choses en évidence. Elle ne pourrait rien me faire, et encore moins avec une cheville abimée. Je reportai mon regard sur cette dernière, la vampyr m’ayant laissé approcher, sans trop avoir le choix. Elle avait dû se prendre un rocher en dévalant la rivière, parce qu’elle avait l’air cassée, et que généralement, ça ne casse pas comme ça une cheville, enfin, je ne suis pas chamane après.
J’appliquai donc un Reparus à l’endroit enflammé, et un craquement se fit entendre. Sa cheville était maintenant comme neuve. Elle devait cependant être engourdie, puisque la jeune fille ne parvint pas à se relever immédiatement.

— En plus, vous ne portez généralement pas les buveurs de sang humain dans votre cœur, vous les chassez même, donc je ne vois pas pourquoi tu t’attaquerais à moi pour me manger. Après, si tu es une BSH en cours de transformation, dis le tout de suite que je t’exécute moi-même.

J’avais dit ça avec une froideur terrifiante dans les yeux. Il était vrai qu’ils représentaient une menace pour toutes les espèces autremondiennes, puisqu’il s’agissait juste de fous furieux albinos avides de sang frais.

Je ravale mes larmes, n’affichant rien sur mon visage de marbre. Elle a mis le doigt pile là où ça fait le plus mal. Elle a mis en évidence ma faiblesse. Et ça fait mal. Elle ressemble à Mel, sans la lueur folle dans le regard et avec quelques années en plus. Tout mon contraire. Si ça avait été possible, j’aurais voulu lui voler son corps, ou la tuer. Mais pourquoi tuer une innocente.
De toutes manières je ne peux pas, même avec toute la volonté du monde. A moins de la chopper en train de dormir et de lui déchirer la gorge avec mes crocs, comme avec les animaux qu’on chasse, avec Mel. Elle me regarde avec une insistance étrange, le regard soudain sérieux, ayant perdu toute sa bienveillance. Ses yeux sont durs et sa voix glaciale.
Mais loin de m’impressionner.

— Non, je voulais parler de te tuer, ce qui risque fortement de ce passer si tu prends encore des airs apitoyés.

Son regard s’apaise. Elle est peut-être soulagée de ne pas avoir à me tuer. Je siffle entre mes dents. Je la menace, et elle elle s'apaise, je fais vraiment aussi peu peur que ça ?! Ça me désole, je veux me pendre. A propos de manger, j’ai besoin de chasser, et la nuit tombant peu à peu, c’est le moment idéal.

— Merci pour le Reparus, je pouvais gérer seule. Je m’en vais.

A ces mots, je me lève et détale dans le sous-bois, je ne lui dois rien.

Répondant par la négative à sa manière, la vampyr n’avait plus rien de menaçant. Quoiqu’elle aurait pu vouloir faire, j’étais bien trop expérimentée pour me laisser tuer comme ça. Je doutais même qu’elle puisse m’arracher un bout de peau, d’autant plus que ça la ferait immédiatement passer chez les BSH, et je me verrais alors dans l’obligation de séparer sa tête de son corps. Comme je n’en avais pas la moindre envie, surtout qu’elle avait l’air toute mimi, j’étais soulagée. Elle eut l’air de mal le prendre et siffla entre ses canines. Je souris face à son regard noir.

Sans demander son reste, mais néanmoins avec politesse, elle rentra dans la forêt pour chasser, ou alors pour rentrer chez elle, mais je penchais plus pour la première option, dans la mesure où les soleils vennaient de se coucher, et que les vampyrs étaient de sortie dès le crépuscule, quoique ce ne soit pas habituel dans les plaines et rares forêts du Mentalir.

Une idée folle me vint alors à l’esprit. Je n’avais qu’à l’observer se débrouiller, je n’avais jamais vu un vampyr chasser et il était vrai que cela devait changer des méthodes humaines. Je revêtis donc ma tenue de Voleuse, lui laissant un temps d’avance, avant de suivre sa trace en hauteur, dans les arbres. Je souris à l’idée d’observer un chasseur telle qu’elle à l’action, je pourrai en apprendre plus, vis-à-vis de mes capacités, et à propos de ce que je pourrai améliorer dans mes techniques.

Ou pas.

Je courre à plein régime depuis quelques minutes, le temps de m’éloigner de l’humaine qui m’a soignée. Je ne veux pas qu’elle me voie chasser, quoique ce serait peut-être quelque chose qui lui ferait enfin peur. Je ralentis l’allure afin de passer en mode chasse. Je reste immobile, à l’affut du moindre bruit ou de la moindre odeur qui éveillerait mes sens et mes instincts.

Soudain, un frôlement léger se fait entendre, suivi d’un craquement de branche. Je m’accroupis au sol, attendant le bon moment pour fondre sur ma proie. Un petit animal à quatre pattes et au pelage un peu roux vient de sortir des fourrés. Sa taille est parfaite pour me rassasier amplement, avant que je ne regrimpe voir Mel, et récupérer mon herbier au passage.

Avec le silence d’une ombre et la rapidité d’un éclair, je courre vers lui. Cependant, le vent provient de mon dos, et il sent mon odeur avant de me voir, et effectue un bond en arrière alors que je retombe comme un chat, sur mes genoux, à l’endroit où il se trouvait quelques secondes avant. L’espace d’un instant, il me regarde, comme pour me défier, avant de s’élancer à travers les bois. Je l’imite et essaie de lui coller au trousse, sans pour autant parvenir à réduire la distance qui nous sépare.

Quelques minutes après, j’opte pour une nouvelle stratégie, contrainte par mon asthme à prendre une pause. Je grimpe à un arbre, sans faire attention à l’ombre qui bouge au loin, et me pose sur une branche. J’attends simplement qu’une proie passe sous moi.

Mon petit quadrupède, galvanisé par sa victoire, repasse une bonne dizaine de minutes plus tard. Avec un sourire carnassier, je fonds sur lui et l’égorge d’un coup de crocs.

Je me repais de son sang.

C’était brouillon, terriblement brouillon. Je l’avais regardée courir pendant un petit moment, avant qu’elle ne s’effondre presque, prise d’une violente quinte de toux. Une vampyr atteinte d’asthme ? Fallait quand même le faire, elle devait être la seule de son espèce, ou une des rare, à avoir un état de santé aussi dégradé. D’autant plus qu’elle ne pouvait pas compter sur la force physique pour faire le poids, puisqu’elle s’est rapidement fait distancer par un bambi, et qu’elle ne parvenait pas à maintenir son rythme.

Elle en était arrivée à se jeter sur sa proie depuis un arbre, avec une souplesse modérée, que l’on dirait « innée » chez les vampyrs. Elle n’était donc dotée que de compétences banales, et devait s’en mordre les doigts, puisqu’elle avait l’air de vivre seule et en indépendance. Il était vrai que les vampyrs étaient réputés pour leurs génies, scientifiques mais dans d’autres domaines aussi, mais on les voyait souvent aussi comme des combattants hors pairs. Aussi, la faiblesse de la jeune fille devait la complexer au plus haut point.

Elle buvait à grosse gorgée le sang de sa victime, et ne m’entendit pas approcher. Avec souplesse, je me laissai tomber sur le sol, près d’elle, une fois qu’elle eut vidé le petit animal. Elle me jeta à nouveau un regard empli de haine et de dégoût, les lèvres barbouillées de sang.

— Je pense pouvoir t’apprendre des choses.

Avec un léger sourire, j’ajoutai :

— A devenir plus forte.

J’avais compris pourquoi elle se comportait toujours comme un animal effrayé, elle était rongée par ses complexes d’infériorité, et devait encore moins apprécier qu’une humaine telle que moi lui propose cela. Mais j’étais libre de mon temps, et bienveillante.

Ma proposition flotta dans l'air frais de la nuit.

L’humaine que j’avais rencontré plus tôt m’a suivie. Elle atterrit à côté de moi, alors que je venais juste de finir mon repas, épuisée par la chasse. Elle me regarde, l’air de réfléchir, avant de me proposer de me rendre plus forte. Je n’en crois pas mes oreilles. Je grogne.
— Je n’ai rien à apprendre d’une humaine telle que toi.

Elle sourit, elle sait. Elle a compris en voyant le spectacle pathétique qu’offrait ma chasse que je ne suis pas celle que je prétends, ou veux être. Je lui lance un regard rageur, me lève et époussette mes affaires, les genoux endoloris d’être restés si longtemps dans la terre. J’essuie ma bouche d’un revers de manche. Mon pull est foutu, entre les trous et les taches de sang.

—Et qu’est-ce que tu penses pouvoir m’apprendre au juste ? T’es qu’une humaine.

De la malice passe dans ses yeux bleus et un sourire s’étire sur ses lèvres. Elle ramène ses cheveux bruns en une queue de cheval avant de me répondre :

—Fais-moi confiance et tu comprendras vite que je ne suis pas « qu’une humaine ».

Lui faire confiance ? Même pas en rêve. Sans même attendre ma réponse, elle tourne les talons et s’éloigne d’un pas rapide. Elle lève une main en l’air en tournant légèrement la tête :

— Mais tu as le choix, partir ou me suivre.

Le choix ? Je pense qu’il est déjà fait. Je commence à en avoir ma claque que les gens me prennent de haut et comprennent avant moi ce que je vais ou peux faire en fonction des situations, je ne veux plus qu’on me prenne de haut.

Je lui emboîte le pas.

Je l’entendis se rapprocher avec un pas léger. Une fois à ma hauteur, elle haletait déjà parce qu’elle avait dû accélérer pour me rattraper. Je ne la regardai pas et continuai mon chemin. Nous marchâmes en silence, ce dernier n’étant brisé que par le cri des oiseaux nocturnes. Au moins, elle ne faisait pas de bruit en marchant, avoir un pas feutré était un avantage certain pour tout le monde, surtout lorsqu’il faut surprendre et attaquer en premier, parce que l’on n’est pas sûr de pouvoir tenir la défense.

Elle faisait clairement la gueule, à se voir réduite à suivre les conseils d’une « simple humaine ». Je souris : si elle savait. J’avais plus d’une corde à mon arc, et une bonne réputation derrière moi. Simplement, je m’étais éloignée de tout ça depuis qu’il était parti. Je fermai les yeux, cherchant à effacer son visage de mes pensées, chasser le son de sa voix, tout oublier.

Nous étions revenues au point de départ, là où je m’entraînais.

Sans un mot, j’enlevais le surplus de fringues inutiles et me glissai sous le torrent d’eau glacial, la laissant prendre son temps avant de me rejoindre. Elle me regardait d’un œil mauvais, peut-être un peu pudique. J’avais beaucoup de patience.

Je veux bien la suivre, obtempérer, me faire entraîner, mais elle fout quoi là au juste ? Sans rien me dire, elle s’est désapée tranquillou devant moi. J’ai détourné le regard, gênée au possible, avant de l’observer faire. Elle se met sous l’eau de la cascade, assise les yeux fermés, et ne fait plus rien. Je repense à la sensation que j’ai eue en coulant un peu plus tôt, avant de la rencontrer. Peut-être se mettre sous la cascade permet de ressentir cela.

Loin d’être aussi exhibitionniste que la femme, j’incante directement de sorte à me retrouver en maillot de bain. Curieuse, je m’assoie à ses côtés, sous les trombes d’eau. Le choc est violent, je suis projetée en avant par le flot. L’humaine me regarde d’un air amusé, aussi droite qu’un i, comme s’il n’y avait qu’un filet d’eau. Je retente l’expérience, comprenant peu à peu l’intérêt de cet exercice. Je m’agrippe aux bords des roches pour tenir sous la violence du flot. Rien à faire.

— Plie-ton dos, puis relève-toi petit à petit, il va apprendre à supporter la puissance de l’eau.

Merci de l’astuce, tu ne pouvais pas le dire avant ? Je grogne. J’applique son conseil, sentant que mon dos commençait à me brûler. En fait, c’était juste une ermite complètement tarée, cette femme.

Mais je devais admettre qu’elle était forte.

J’étais ravie de voir la jeune vampyr obtempérer sans broncher. Enfin, presque sans broncher, puisqu’elle se contentait de grogner pour manifester son mécontentement. Elle n’aimait pas se faire commander, et pourtant, elle était là, à écouter ce que je lui disais de faire. Je souris alors que l’eau coulait le long de mon corps, irritant mes épaules et le haut de mon dos. Réfléchir lui ferai du bien.

— Sur Terre, on dit que cet exercice permet de trouver la paix intérieure. Profite de ton immobilité pour réfléchir à ce que tu veux, voir à rien du tout, laisse toi aller. C’est la paix du guerrier.

Elle me jeta un regard sceptique et grimaça, montrant clairement qu’elle n’en avait rien à battre, et qu’elle n’y croyait pas. En attendant, elle n’avait pas bougé de l’endroit où elle s’était assise, et ne se plaignait pas, alors que son dos commençait à rougir.

Se calmer allait lui faire du bien, vu ses réactions, cette gamine était une véritable furie furieuse, quoique grandement frustrée par son incapacité à se défendre.

— Je m’appelle Elëor, et toi ? Que viens faire une jeune vampyr dans le Mentalir ?

Je n’étais pas certaine d’obtenir une réponse, mais il fallait qu’on fasse connaissance, si elle voulait que je lui apprenne à contrôler ce qu’elle a en elle.

Cette femme a certainement un pet au casque, pour utiliser des techniques terriennes. Comme si cela pouvait s’appliquer à Autremonde, si c’est une autre planète, c’est pas pour rien. Notamment parce qu’il y a de la magie, ici bas. Je la regarde avec méfiance, et obtient un sourire en retour. Elle est un peu con aussi sur les bords. La paix du guerrier, paix intérieure, mais elle avait fumé une spatchoune elle, c’est la seule explication possible. Ce qu’il me faut c’est taper sur un truc, pas me mettre sous une cascade. Je grogne. Enfin, j’ai du temps à perdre.

Elle me demande mon nom. Elle, c’est Elëor, un prénom un peu étrange. Elle veut qu’on soit meilleures copines ou quoi ? Bff non merci. Je marmonne de sorte à ce qu’elle entende :

— Moi c’est Lem.

Elle n’en saurait pas plus, j’ai pas plus envie de raconter ma vie que de faire ami ami avec elle. Je ne la regarde même pas et me concentre sur ma tâche. Ne penser à rien, ou laisser mes pensées m’entraîner. Je me redresse enfin, après un long moment, la tête levée vers la source de l’eau. J’inspire, puis me noie sous le flot. C’est ça, cette sensation de calme, ne rien entendre, si ce n’est le clapotis de l’eau, c’est ce que je recherche. Je souris alors, apaisée par l’exercice du guerrier.

Mes pensées m’engloutissent alors.

Elle ne répondit qu’en partie à mes questions, se contentant de me donner son nom. Soit, elle voulait la jouer mystérieuse, je parviendrai à lui tirer les vers du nez d’une quelconque manière. Elle semblait avoir un caractère bien trempé, et c’est pour cela que j’étais persuadée qu’il y avait quelque chose à faire avec elle, et que je m’étais proposée de lui apprendre des choses. On allait pas non plus y passer dix jours, je voulais juste qu’elle comprenne qu’elle ne valait pas rien. Et qu’elle chasse avec la grâce que qu’un vampyr méritait.

Elle se redressa, presque droite, quelques minutes après. Cela faisait déjà un bout de temps qu’on était là, et les Lunes étaient déjà hautes dans le ciel. Je sortis de sous la cascade, et la regardai. Elle s’était complètement mise sous l’eau, et semblait savourer l’instant. Je lui tapotait l’épaule pour lui signifier que l’heure de la baignade était finie.

— Viens, on va faire autre chose. Il commence à faire froid.

Je passai derrière la cascade, dans la grotte, me changeai d'un sort et commençai des exercices de souplesse et des étirements au sol, attendant que Lem me rejoigne.

— Tu manque d’agilité, pour une vampyr.

Cela ne lui ferait pas plaisir d’entendre ça, mais elle connaissait ses limites et ses défauts, aussi, il fallait qu’elle améliore tout ça, qu’elle repousse ce dont elle était capable. Je pouvais lui en donner la possibilité, si elle le voulait.

L’humaine me tire de mes pensées. Elle est chiante. Il fait froid, et alors ? Ma peau est plus glacée que la pierre sur laquelle repose mon popotin de marbre. Je siffle. J’étais bien, je pensais à tout sauf à la noirceur qui occupe une partie de mon cœur. Je comprends maintenant son charabia à propos de la paix intérieure et tout son discours de fumeuse de spatchoune. Il est vrai que c’est reposant, de laisser l’eau marteler son corps, les yeux fermés. Ca renforce certainement le physique aussi, mais je sens la différence au niveau mental.

Je sors de l’eau, le vent soufflant sur ma peau humide, et suis l’humaine. Je suis contente qu’elle ne m’ait pas posé plus de questions, respectant mon silence voulu lorsqu’elle m’a demandé ce que je foutais là. Elle a enfilé une tenue de sport, et s’est assise à terre. La grotte est jonchée de tapis, au sol. Etonnamment, il ne fait ni froid ni humide, à l’intérieur. D’un coup d’œil circulaire, j’observe l’aménagement de cette pièce. Un matelas au sol, un brasero, des cageots de vivres, une table sur laquelle sont disposées des armes dans leur fourreaux, accompagnées du matériel nécessaire pour les aiguiser. Je déglutis en voyant toutes ces lames, de la plus petite à la plus grande. J’ai sous-estimé cette humaine. Je m’assois à côté d’elle et imite ses mouvements.

C’est une tueuse.

Lorsque Lem s’assit à côté de moi, je lui souris. Elle avait l’air encore plus méfiant qu’avant. J’avais suivi son regard et compris que c’était la présence d’armes qui ne la rassurait pas. Avec un sourire d’excuse, je lui expliquai la raison de leur présence, et en si grand nombre :

— Ne te méprend pas, je ne suis pas un vulgaire assassin. Je suis Voleuse Patentée et garde du corps royal. Mais là, ajoutai-je, la mine sombre, je suis en vacances, on va dire.

N’y pense plus. N’y pense plus. Fais le vide. J’inspire et expire lentement, pour chasser mes pensées indésirables de mon esprit. Je fis faire à la vampyr divers exercices de souplesse, et lui indiquait de les faire quotidiennement.

— Pas besoin de bourriner et de tout faire pendant des heures, rallonge simplement la durée de tes exercices petit à petit, pour repousser tes limites et améliorer tes capacités.

Cela faisait au moins une heure que l’on travaillait la souplesse. Je me levai et grignotais un fruit. Elle avait peut-être fait le plein de sang, mais j’avais besoin de vitamines, moi.

Avec un sourire, j’ajustai mon haut brassière, et lui demandai :

— Tu sais te battre et te défendre ?