La mission

Sveltana Darr'en
où comment se faire prendre... et détester ça.

Je me collais au mur, aussi invisible qu'une ombre dans la nuit loin des villes, sans lumière. Il était presque impossible de me distinguer. C'était comme si j'avais toujours fait partie du décors. Aussi longtemps que je choisissais d'y rester, personne ne viendrait m'y chercher, j'étais un objet quelconque dans un grenier bien rempli et plus visité depuis des années, des siècles. Je souris, même dans un endroit aussi défendu que le palais impérial d'Omois, il était aussi facile d'y entrer et de s'y cacher que dans une ruelle sombre lors du crépuscule. Autrement dit : très très facile. Surtout que l'impératrice autorisait les sorts de camoufflage et que, même si je n'étais pas aussi douée que je l'aurais voulu en matière de magie, les vampyrs buveurs de sang humain comme moi pouvaient aussi bien devenir de petits gamins innocents tout comme les redoutables voleurs patentés ou assassins qui pouvaient se faufiler partout. Enfin... Ce devait quand même être relativement difficile parce que Lisbeth était encore en vie. Bref, le palais n'était pas si bien gardé que ça.

En parlant de garde. Une camoufflée venait juste de traverser la pièce d'un pas souple sans me remarquer le moins du monde. N'étais-ce pourtant pas son travail ? Bah, tant pis pour elle et tant mieux pour moi. Les bêtises des autres ne pouvaient que m'aider, hein ! Elle ne semblait même pas se rendre compte que tout le monde pouvait la voir. Elle se dirige silencieusement vers une petite porte à demi camouflée par des meubles. La salle d'armes. Je le sait parce que j'y ai déjà fait un tour. Complètement par hasard. Génial. Je pourrais la retrouver désormais. Faut avouer que la dernière fois, il m'avais été impossible de savoir où je m'étais rendue et où se trouvait cette fichue porte. Tant que je le savais à présent, ça n'avait plus grande importance. Je m'avançais d'un pas. Souple. Vive. Rapide. Silencieuse. Un prédateur traquant sa proie. Un loup suivant la pauvre biche égarée dans la neige. Ha ! J'avais déjà entendu que les camoufflées avaient bon goût, je pourrais enfin avoir l'occasion de le vérifier. Je m'assurais à l'avance de ne pas être suivie. Cette chasse pourrait mal finir. Il pourrait y avoir deux types de sang par terre : le mien et celui de cette proie. Et franchement, je n'y tenais pas vraiment.

Soulagée de, après quelques secondes d'immobilité totale, tous les sens en alerte, guettant le moindre mouvement, ne voir personne, je m'avançais un peu plus, toujours aussi prudente. Je pouvais à présent détailler l'inconnue. Qui, assurément ne se rendait compte de rien. Elle était bien une camoufflée, pas de doutes là dessus. Mais elle avait quelque chose en plus... Comme si elle n'était pas tout à fait pur sang, peut être une hybride. Je grimaçais. Rahh, je ne pourrais pas vérifier la théorie des autres selon quoi les camouflés étaient excellents. En plus, les hybrides avaient nettement moins bon goût que les autres. Bon pas grave. Un repas restait un repas. Soudain, une autre fille fut devant elle. Nan mais d'où elle sortait, celle là ? Une voleuse, sans aucun doute. Qui donc pouvait être aussi discret ? Qui pouvait échapper à mes sens -qui, sans vouloir me vanter, étaient redoutablement aiguisés ? Aussitôt, l'humaine attaqua:

Tu n'a rien à faire ici!

Hum, delà où j'étais je pouvais voir chacune des réactions des deux autres. Et il semblait évident que la camoufflée n'aurait pas dû se trouver là. Ou alors elle était en mission ultra-secrète ? Cool, personne ne la chercherais alors. Et je pourrais peut être diner tranquille. Elle se reprit vite et adressa un sourire angélique à la voleuse :

Le chaman du ministre Landul lui envoie son rapport de santé. Je suis chargée de le lui donner.

Mensonge. Cela se sentait dans sa voix. Nan mais sérieux, on pouvait pas moins bien se dénoncer. Ce ne devait être qu'une apprentie. L'humaine souris. Pas le sourire triomphant habituel des voleurs. Plutôt du genre sympathique.

Non tu es là pour empêcher que quelqu'un de voler des faux documents, ais-je tord?

Ha ! Ainsi donc, les faux documents d'un certain Landul on prévus d'êtres volées. Interressant, très interressant. La camoufflée blêmit, son visage devient d'une pâleur inquiétante. J'en déduis que la fille a raison. Enfin, quoique, la lumière est trop éclatante pour que j'en sois sure. Mais bon, comme la voleuse ajoute : « Oh hé du calme! Je suis là pour ça aussi! Sauf que moi, j'ai un compte à régler avec cet idiot de voleur. Et les faux documents, c'est moi qui les ai posés là pour empêcher le voleur de prendre les vrais. Du calme !  », j'en déduis que c'est effectivement exact. J'ai encore raison ! Ha, un mince sourire étire mes lèvres. Je pourrais bien sucer le sang des deux. Comme ça je pourrais comparer. Cooool... Je m'approche un peu plus...Doucement, petit à petit. Sauf qu'au fond, quelque chose tombe dans un bruit mat. Rahhhhh ! Grrr ! Mon entrée est loupée. Pas grave, je souris aux deux autres et, de ma voix si aimable, je leurs dis :

Bonjours, petits apéritifs ! Cela ne vous gêne pas, j'espère, que je vous plante mes crocs dans la gorge pour sucer votre sang, hein ! Parce que vous savez, j'ai super faim et pas très envie d'attendre alors si vous pouviez bien me laisser faire, je vous promet de vous laisser en, hum, vie.

J'ai activé mon charisme, elles ne peuvent plus s'échapper ou me résister. Il est trop tard pour elles. Enfin, si elles sont sages, je tiendrais ma promesse.

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Eh slurk, évidement, le charisme ne marche pas sur les camoufflés. Rahh, zut. Pas le moins du monde hypnothisée, la garde encoche une flèche de son arc -ah, une demi-elfe, demi-camouflée, interressant !- et s'avance vers moi, d'un pas. Je la regarde. Ses longs cheveux blonds lui tombent comme une cape jusqu'à ses reins, elle a de beaux yeux noisettes. A la réflexion, j'aurais pu tout de suite deviner qu'elle avait du sang elfe. Sa grace et sa beauté étaient caractéristiques de sa race.

Je me savais belle, moi aussi. Mais d'une beauté inquiétante, la peau trop blanche, les cheveux noirs, lisses, aux reflets bleus. Je savais que mes yeux avaient un air fou, dangereux, la pupille rouge sang. Les gens reculaient à mon approche -avec raison, d'ailleurs- et s'enfuyaient pour la plupart. Là, les deux filles semblaient sur-entrainnées, sures d'elles et insensibles au charisme. Humm, pas bon, ça. Bref, j'étais mal là, très mal. Non seulement elles ne semblaient pas du tout avoir peur mais en plus il fallait qu'elles soient deux contre moi. Rahh. J'aurais vraiment dû choisir des proies plus faciles. Bon, pas grave. Je me débrouillerais pour leur échapper. Et croquer un morceau de l'une d'entre elles. Ou des deux.

Bon, tu vas gentiment mettre tes mains derrière ton dos et nous suivre tout aussi gentiment vers les appartements impériaux pour que l'impériale héritière te soigne.

Je souris, amusée. Nan mais sérieux, elle croyait quoi, l'hybride ? Que j'allais me laisser faire prendre sans broncher, que je la suivrais jusqu'à Tara Duncan ? Que j'avais envie que cette sale mini-impératrice me transphorme ? J'étais très bien dans ma peau de vampyr buveuse de sang humain ! Pas besoin qu'on me "soigne" comme elle disait ! Un sourire niais sur le visage, je m'apprêtais à répliquer quand l'autre, l'humaine ajouta quelque chose, d'un ton pressé, presque paniqué :

Juste si tu pouvais nous manger dans un quart d'heure, ça irait? Ah, et...Pour être franche, je n'apprécie pas d'être reléguée à la catégorie des apéritifs.

Bah voyons, elle croyait quoi ? Que j'en avais quelque chose à fouttre qu'elle n'aime pas être considérée comme "apéritif" ? Je la considérais d'un regard froid. Elle était petite -pas plus de seize ans - et mince. Corps parfait pour une voleuse. Ses cheveux presque roux étaient rassemblés en couettes et lui donnaient un air de petite fille. Un parfait apéritif, quoi ! Dans son regard, il ne m'avait pas semblé entrevoir de la peur, pas même une légère inquiétude. Pourquoi parraissait-elle si subitement terrifiée ? Ou angoissée ?

Le repas, c'est plus avantageux. Ca me convient mieux.

Ah, bah non en fait, même pas peur ! Elle semblait si joyeuse, ironique que j'eus envie de la frapper. Hum, garder son calme pour mieux frapper ensuite, c'était mieux. Ne pas perdre son sang-froid même quand on est dans une mauvaise passe. Sinon, impossible de s'en sortir. Bon, réfléchir, maintenant. Comment sortir de là en ayant quand même fait disparaitre le sourire niais -mon sourire- de sa figure angélique ?

Pour l'apéritif, tu as un superbe voleur au goût succulent qui doit arriver dans exactement cinq minutes. Tu arrives pile à temps. Après, nous aviserons, n'est-ce pas?

Bien sur ! J'allais négocier avec une gamine -qui ne connaissait apparement rien aux vampyrs buveurs de sang humain- sur ma façon de me nourrir ! Elle croyait quoi ? Que j'allais la laisser partir comme ça ? Sans rien ? Bon, elle me proposait un repas. Un voleur. C'était intéressant comme proie mais pas question de dire oui. Surtout si c'était elle qui me le proposait. Mais bien sur sale peste ! Je vais te laisser décider de qui je tue et qui je tue pas parce que c'est ça que tu veux. Sans rien en échange. Crève toujours !

Oui, bien sur ! Je vais te laisser me commander aussi ! Et me transphormer en toutou de garde obeissant -et meurtrier ? Alors, tu sais quoi ? Va te faire voir !

Et je me jetais à sa gorge. Avais juste le temps de dévoiller mes crocs pour les plonger dans son cou. J'aurais au moins le temps de sentir son gout dans ma gorge avant de m'en aller. L'autre ? C'était une hybride et les hybrides sont vraiment dégoutants. Je la laisserai. Mieux vaut ne rien risquer, hein !

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Elle m'énerve mais elle m'énerve ! Bon, ok, je n'aurais pas dû perdre mon sang froid mais c'est tellement tentant, son coup strié de milles veines emplies de liquide délicieux, son cœur qui bat un peu rapidement, et l'odeur, si enivrante, si humaine. Elle m'énerve et je vais lui faire payer cet affront.

J'ai les yeux fixés sur l'artère, au dessous de son menton. Je lui ai presque planté mes crocs dans son cou dénudé. Je suis presque vengée. Presque. Un sortilège me frappe de plein fouet, peu puissant, mais qui me glace jusqu'à la moelle des os. Je suis figée, sans aucun moyen de me délivrer. Mes yeux sont agrandis par l'horreur, incapables de battre des cils. Je suis désormais dans une rage noire, plus rien ne compte, plus rien n'a d'importance que le désir de torturer, bruler, anémier lentement puis tuer la personne qui a commis cet acte si humiliant.

Je me calme. Ou, du moins, j'essaie. Je devine tout de suite que l'attention des deux filles est attirée ailleurs, surement par la personne qui les a sauvées... pour l'instant. Je tente de percer les défenses du sortilège. Ce dernier est relativement simple, exécuté par un sorcelier peu puissant, ou qui a mal réglé sa magie. Je me concentre, essaie de formuler mentalement les paroles qui pourraient me délivrer. Le sort cède lentement, très lentement. Mais il cède.

Je perçois les dires de l'hybride elfe-camouflée sans pouvoir réagir, les contester, attaquer.

Merci, vous venez de sauver la vie de ma collègue et la mienne peut être aussi. Mais qui êtes vous et que faites vous ici ?

Elle semble réticente, serrant les dent comme si elle avait du mal à remercier. Je la comprend, à sa place, je détesterai mon sauveur... bah, justement parce qu'il m'a sauvée. J'aurais horreur d'avoir le sentiment de lui devoir quelque chose. Je déteste avoir des dettes. De toute façon, j'en ai pas beaucoup et les certaines personnes qui m'ont aidée ne sont plus de ce monde. Enfin, sauf une qui ne risque pas de vivre bien longtemps non plus, d'ailleurs. Bref, passons...

A ma grande surprise, la sorcelière, celle qui m'a défiée si ouvertement, ne dit rien, observe. Elle ne remercie pas son sauveur, se contente de le regarder bouche bée. Il apparaît enfin dans mon champs de vision. C'est un homme, jeune, très semblable à un humain mais qui à quelque chose de différent dans sa manière de bouger. Il n'est incontestablement qu'à demi-humain malgré son physique. Et son sang à une odeur bizarre, un peu comme celle des pins. Très étrange. Et qui ne donne absolument pas envie. Bon, je vais pour voir ôter les verbe anémier de mon programme.

Le sort cède soudain. Je me sens revivre. Mes membres ne sont plus amorphes et je peux les bouger. Je reste immobile un moment, pour produire le meilleur effet de surprise. Puis, quand la demi elfe et l'humain-qui-n'en-est-pas-un se sont légèrement éloignés, je bondis sur la petite proie plus vite que je ne l'ai jamais fait.

Il y a une ombre qui passe. Le petit apéritif m'aurait t-il dit la vérité ? Le voleur... Ils vont le louper. Bah, je m'en moque mais c'est l'occasion idéale pour détaler. J'hésite un instant, puis crie :

Le Voleur !

Et m'attaque de nouveau à la gamine, espérant que cette petite information l'a assez déstabilisée pour quelle ne réagisse pas trop, ou plus lentement...

[Bah, marre d'attendre, je réponds]

Sveltana Darr'en

Elle se détourne un moment. Assez pour voir que je dis la vérité... Mais nan, elle ne se jète pas à la poursuite du voleur. Slurk. La gamine se retourne vers moi et me lance un sortilège. Carbonus. Aille ! Ma cape prend feu. Comment on fait pour l'éteindre ? Cela brûle ! COMMENT ON FAIT POUR ETEINDRE ? Aqua... Aqua... Bon, on va tester avec aquarius et si ça marche pas on va rapidement enlever la cape, hein !

Par l'Aqua...

Si quelqu'un pouvait s'occuper du voleur ça serait sympa! Parce que je sais pas si ça se voit, mais je suis en train d'empêcher ma rivale niveau foldingue de me boire tout mon sang!

on, c'est ok, ma cape s'éteint. Sauf que maintenant elle sent le roussit. On va me repérer à des kilomètres avec une odeur pareille ! Voyons le bon coté des choses, la gamine, l'hybride et le garçon sont tous les trois trop occupés pour avoir remarqué que je galérais en matière de magie. Un point pour moi. La garde d'Omois réagit aussitôt. Elle s'élance vers le voleur et je l'entrevois disparaître dans la direction où le voleur est partit.

Le garçon à l'air de luter avec lui même et semble incapable de bouger. A moins que ce ne soit dû au choc. Toujours est-il que j'aie mon repas à moi toute seule, et personne pour le défendre de mes attaques. Bon, elle a l'air de bien connaître la magie et de la pratiquer avec l'aisance propre aux sorceliers mais elle est jeune, inexpérimentée, et toute petite. Franchement, je suis en train de me demander si c'est vraiment la peine de l'attaquer pour rien du tout. Je décide d'au moins essayer de la tuer. Si elle résiste un peu trop, tant pis. Je me contenterais de partir et de chercher quelqu'un d'autre plutôt que de me faire capturer ou d'être encore une fois mise en contact avec la magie. Beurk. Vivement le retour sur terre.

Existe-t-il un sort qui interdit à quelqu'un d'utiliser sa magie ? Parce que là ce serait... Pratique. Mais il serait sans doute beaucoup trop puissant pour moi et puis je ne connais pas la formule. Attaquer maintenant. Je fend l'air avec la rapidité propre aux miens. Non, pas aux miens. Je ne fais pas parti des vampyrs. Je ne fais partie de rien. Je suis à part et apparentée à personne. Donc, je fend l'air avec rapidité et griffe la joue de mon adversaire. Puis je me déplace avec la même fluidité pour me tenir hors de portée des ripostes de ma proie. Mes ongles pareils à des griffes ont un peu de sang que je lèche avec délice.

La gamine à l'air d'avoir mal digéré ma petite attaque et semble entrer dans une colère froide. J'active aussitôt mon charisme. Autant être prudente. Je me déplace autour d'elle avec une vitesse vertigineuse. Une vitesse telle qu'il est impossible de me toucher avec des sorts à moins d'avoir visé un endroit où je n'étais pas. Ok, c'est bizarre.

Affaiblir l'ennemi. Je m'approche de nouveau pour la blesser un peu plus. Je recule aussitôt. Il y a quelque chose d'étrange autour d'elle, dans l'atmosphère, comme un sortilège. Slurk. Je déteste la magie. Prudente, je continue de me déplacer autour d'elle avec la même rapidité et tente de déterminer de qui il s'agit.

Il faut que je fasse aussi attention à la mi-camouflée et au garçon parce que quand même après tout ce temps il devrait s'être remis. Bon, je devrais peut être renoncer. Un dernier essai et je m'en vais. L'humiliation de s'être fait boire son sang, même indirectement, devrait être une assez bonne vengeance. Pas besoin de tenter l'impossible. Remarque, je suis invincible. Personne ne peut me tuer, c'est impossible vu que je suis une vampyr buveuse de sang humain. On ne peut pas me tuer, c'est impossible... Forcement.