Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Lavoisier.
J’étais incapable de mettre une date sur les élucubrations philosophique de ce maudit physicien. S’il seulement il l’avait été, déjà.
La main plaquée contre des mèches roses que je retenais dans un enchevêtrement compliqué, comprimé par la pression de mes doigts sur leurs valses incessantes, je dégageais mes yeux de tout obstacle, affront terrible à la découverte scientifique. Se déroulait, derrière l’assemblage subtil de multiples jeux de miroir la réalisation d’un grand projet mené à terme. Il suffisait qu’une seconde vienne obtempérer dans l’échec de mon observation, et tout tomberait à l’eau. Le microscope était réglé à la précision, posé en équilibre sur une masse de papier recouverte par mon écriture acérée. S’étalaient partout dans la pièce les cadavres de plan, de schéma et autres dessins inutiles à la réalisation de mes idées. Derrière la lentille bénie pour son existence, j’observais une culture de bactérie. Pas n’importe quelle bactérie. Une culture de specimen nommé provisoirement : Axagus 320, des petites choses formidables qui avaient la capacité étonnante de se « nourrir » de magie. Pendant deux mois, j’avais activement fondé mes recherches sur la possibilité d’un pathogène capable de transformer ces adorable magirophobes en magirophobes misant leur régime sur la magie démoniaque. Si j’en étais capable… et bien… techniquement ça ne servirait as à grande chose. Il fallait que je trouve un moyen de développer une masse considérable de cette bactérie pour parvenir à quelque chose d’intéressant. J’imaginais une seconde la transfusion de la culture dans le sang de Magister. Mon regard se plissa, et dans un froufrou de blouse blanche, je m’écartais précipitamment de la table, rejetant mes mèches, les faisant chuter sur mes yeux dans un masque assombrissant mon regard cyan. Je n’y avais pas pensé. Si jamais il y avait la moindre fuite dans mon équipe, n’importe qui serait capable de vider Magister de la magie noire. Rien qu’un tout petit peu de cette bactérie, dans une boisson ou dans n’importe quoi, du moment que les moyens soient mis en place pour conserver l’organisme vivant, et donné à Magister, et… j’eu un frisson d’horreur. Bande de cons. Et quelle conne je faisais. JE n’avais pas confiance en ces trois sorceliers qui m’avaient proposés leur aide durant l’intervention sur cette culture bactériale. Non mais quelle conne, je vous jure ! Plongeant la main dans ma poche, j’en ressortais une boule de cristal usait, avec laquelle je composais rapidement les numéros de mes subordonnés. Les uns après les autres, je les reçus, téléphoniquement, et les sommais de se rendre immédiatement à un certain pub, perdu au fond des canalisations de rues de Tingapour. Rendez-vous improviste, qui les surprirent. Chacun me présenta leur opposition, et claquant mes injonctions d’une voix furibonde, ils obtempérèrent tous. Non mais oh. C’était moi le boss après tout. Tssssssk.
(…)
Claquement des bottes sur le parquet trempé, je relevais mon visage vers le ciel détrempé. Le vent hurlait, s’engouffrant dans les boyaux intestins que formaient ces dédales de rues aux axes désorganisés. Mes cheveux roses, mèches endiablées et assombris par l’humidité ambiante, heurtaient avec une violence exaltée la pâleur de mes joues. Sourire carmin, mes lèvres s’étaient étirées dans un sourire presque triste. Mélancolie et tendresse cousaient de mes traits un masque de poupée enfantine. Une poupée. J’étais si loin de vouloir en être une. Redressée de toute ma taille, dans un excès d’arrogance, les paupières courbées sur une ligne hautaine, tout témoignait de mon besoin d’être supérieure. Quinze années… quelques mois d’existence. Il m’avait fallu de quelques mois. Quelques mois pour découvrir l’intérêt à la vie. Magister. Mes prunelles s’allumèrent d’un éclat incendiaire. Braquées sur le mur coupant court à la ruelle, s’entreposaient à même le sol le corps de mes ex-collègues. J’aurais peut-être été moins radicales si ces chers et tendres scientifiques n’avaient pas cherchés à témoigner de la résistance. De la résistance.
C’était triste.
Si triste de gâcher la vie humaine, alors qu’elle pouvait être précieuse. Je remontais mes doigts jusqu’à mes chveux, rejetant en arrière une mèche rose. Mes doigts heurtèrent mon œil, et une vague de souffrance explosa jusqu’à ma rétine. Impossible d’éviter le contact avec ma peau ; il fallait que je soulage la douleur. Plaquant mes doigts contre mon œil, je crispais la mâchoire. Foutue. A quoi devais-je ressembler ? A une gamine de quinze ans, habillée d’une blouse blanche, le sang ruisselant sur les doigts, et ayant tâché les vêtements dans la plus grande manifestation Pollock qui soit. Mon dieu, quel cliché ; digne d’Hollywood. Je détendis doucement mes doigts, et écartais ma main de mon œil. Prunelle cyan, encerclée par le sang rubicond de la vitale existence… je me sentais naitre des proses écarlates. La pluie se remit à couler, et je rejetais sur les cadavres disloqués un regard de dégout.
Je ne voulais pas risquer l’existence de Magister.
JE rentrerais chez moi, et je détruirais tout sur cette bactérie. Tout. Que cela disparaisse dans le néant, et aille nourrir les intérêts du vide. Consummés par la cendre ou par la magie, je ne voulais pas que la moindre information suceptible de risquer la magie et la puissance défensive de Magister lui coûte quoi que ce soit. Je recommencerais. Je voulais tout savoir de la magie démoniaque. Mais je ne laisserais à personne la possibilité de s’accaparer des savoirs trop dangereux. JE me détournais lentement. Que faire…
C’était la première fois que je tuais.
Le reflet dans la vitre brisée d’une maison abandonnée me renvoya l’image de mes larmes. Salées, sanguines, se mêlant au sang que j’avais étalé sur mes joues, elles traçaient sur ma peau des arabesques honteuses, preuves de ma lâcheté infantiles. J’étais faible. Je détestais cela. Elles hurlaient aux yeux du monde mon incapacité d’être adulte. Quinze ans. Et incapable de maitriser mes émotions. Quelle putain de lâcheté. Ma vision brouillée, je lâchais un vague soupir, résignée.
Putain de bordel d’organisme trop faible. Si cela était possible, j’aimerais transformer le monde entier en un amas de robot de chair, de sang, mais incapable de pleurer. Plus de pleurs, plus de faiblesse.
« Connard de dieux. »
Me détournant de la vitre, je redressais le visage, laissant la pluie effacer sang et larme, lorsqu’une forme sombre se dessina au bout de la ruelle. Je glissais lentement mes doigts derrière mon dos, invectivant l’inconnu. Il venait vers moi, sombre fou, persuadé d’être sauf et existant. Quelle triste humanité.
Approche, et je te désintègre.