Heu... Némésis, peut-être?

Les mains attaché dans dos, le visage baissé, il restait immobile. Les hommes, dans l’ascenseur avec lui, rigolaient. Il sentait leur haleine, suave et fétide, dans son cou. Elle, elle n’aurait pas supporté. Mais il n’était pas elle. Malheureusement. Ou tant mieux, peut-être. L’ascenseur s’arrêta. Elle, elle n’aimait pas les ascenseurs. Quelqu’un entra, le bouscula. Pas d’excuse. Tant pis. Il n’en attendait pas. Une voie s’éleva. Aigrelette, sèche. Celle de l’homme qui venait d’entrer :

- C’est quoi ce gamin attaché?

Une autre lui répondit. Évidemment. À chaque question sa réponse.

- Un petit terroriste des quartiers ouest. Ou nord. Un terroriste, quoi.

- Compris. Un autre petit oiseau qui finira en cage.

Les hommes éclatèrent de rire. Comme si ce n’était pas déjà ce qu’ils étaient en train de faire. Leur conversation continua. Longue. Inintéressante. Il s’ennuyait. Depuis combien de temps déjà était-il attaché? Une heure? Deux? Ou plus encore? Dans un tel état d’ennuis, il est normal qu’on se mette à penser à des choses extrêmement éloigné de l’instant présent. Ce n’était pas exactement son cas. Lui, au lieu de basculer dans la phase «Rêvassons loin de ce monde», bascula dans la phase «Et si?»

Et si rien ne se passait comme il l’espérait? Et si Tomek avait menti? Et si c’était le jeune homme qui l’avait dénoncé, et qui n’était venu chez lui que pour s’assurer de sa capture? Et, hypothèse bien plus à craindre, si Tomek n’avait rien à voir dans ce qui lui arrivait? Si Tomek ne savait rien, et que c’était elle qui lui avait indiqué ou le trouver. Et si, dans ce cas, si c’était elle qui avait indiqué aux autorités de l’ordre et du calme où il était? Elle n’en serait pas capable, non?

Mais il n’y avait pas deux réponses possibles à cette question. Malheureusement. Parce qu’elle était capable de tout. Il le savait. Il l’avait vue à l’œuvre. Et qui l’empêcherait de le dénoncer, si elle le voulait?

Personne. À chaque question sa réponse.

Sauf à certaines.
L’aimait-il encore? L’aimait-elle encore? L’avait-elle jamais aimé?

Et, bien sûr, toutes les questions un peu plus haut étaient sans réponse. Pour un moment. Parce qu’elles recevraient bientôt une réponse. Ou plusieurs.

L’ascenseur s’arrêta. Cette fois, il fallait en descendre. Ce qu’il fit. Pousser par derrière par les AOs. Agents de l’Ordre. C’était des ACs qui étaient venus le cherché ce matins. Des agents du calme. Parmi eux, un Rob-ASAT. Agent spécialisé anti-terroriste. Un robot bien programmé, plutôt.

Comme si il était un terroriste. Ce qu’il n’était pas, précisons-le tout de suite. Enfin, pas vraiment… Bien sûr, il savait qu’il gênait le gouvernement. Mais il n’en était absolument pas responsable. Il n’avait fait que son boulot. À l’époque. Il y avait… à peu près cinq ans, non? Depuis, il avait repris une vie normal. Ou du moins, il avait repris la vie la plus normale possible.

Comme si on pouvait vivre une vie normale avec ce qu’il avait vécu. Huit ans de formation avant de commencer enfin le véritable travail, qui avait à peine duré un an.

Elle, elle travaillait avec lui depuis le début. Il la revoyait, penchée sur l’ordinateur, à entrer toute sorte de codes, de fichiers, de documents auxquels il n’avait jamais pu attribuer de sens. Mais elle, elle les comprenait. Elle comprenait toujours tout avec une facilité déconcertante.

Enfin, tout, c’était beaucoup dire. Il y avait des choses tentait désespérément (ou pas) de comprendre et qu’elle n’arrivait jamais. Par exemple, des choses aussi simples que les lignes d’un labyrinthe. Pourquoi celle-ci devait-elle être à tout prix infranchissable pour le crayon? Mais quand il était question de calcul ou de logique… Elle s’en sortait sans problème, et plus vite que quiconque.

Un nouveau coup dans le dos, plus dur, et qui lui fit perdre l’équilibre, le ramena à la réalité de l’instant présent. Il tomba par terre, ne pouvant même pas espérer se rattraper ou ralentir sa chute, ses mains liées l’en empêchait.

Un nouveau rire retenti dans son dos. Insupportable. Et pourtant… il ne dit rien.

- Alors, le gamin! C’est pas le moment de piquer un somme!

Pour toute réponse, l’homme eu droit à un regard haineux. Il ne se senti pas dépité pour autant, car après tout, les éclats de rire de ses compagnons redoublèrent.

- Relevez-le donc, il a peut-être sali le plancher!

C’était la voie aigrelette de l’homme qui l’avait bousculé un peu plus tôt. Il n’aimait pas vraiment son possesseur, mais au moins, grâce à lui, il n’aurait pas à contempler le plancher jusqu’à ce que quelqu’un se fasse lui fasse la grâce de le relever.

Il senti le bras qui l’attrapa, pas d’une grande délicatesse, mais qui lui permettait de se tenir de nouveau sur deux jambes.

Et qui lui donna l’occasion au passage d’observer le lieu qui l’entourait.

Il était dans un couloir. Long, grand, éclairé par des fenêtres. Celle-ci n’était pas très grande, et avait plus que tout besoin d’être nettoyé. Néanmoins, elles lui permettaient de déterminer à quel étage il se trouvait. Au troisième. Il pouvait apercevoir de très grands arbres dans la rue, certain encore vert malgré l’automne. Mais ce n’était pas le plus intéressant. Non, ce qui attira réellement son intérêt, c’était la bande de jeune qui trainait dans la rue.

Et Tomek, parmi eux.

Il n’hésita pas vraiment. Si, quand même un peu, il faut bien l’avouer. Mais ce fut son idée d’elle qui le poussa à faire ce qu’on aurait pu qualifier de folie. Parce que ce à quoi il pensait, elle, elle aurait été prête à le faire. Elle l’aurait fait. Elle l’avait fait. Sous ses yeux. Et, se débarrassant comme il le pouvait de toute hésitation, il s’élança.

Par la fenêtre, bien sûr.