Ennemi commun • L'ilne [Micro]

Tu t’avances dans la forêt, guettant le moindre mouvement. Tu as entendu dire que quelques Sangraves ont établi leur campement dans les environs, et tu comptes bien vérifier cette rumeur. Les observer aussi. Neo te tuerait si tu faisais tout foirer en te précipitant comme un gamin de quatre ans. Tu soupires. Ce n’est pas comme si tu avais l’intention de te jeter sur eux en criant vouloir intégrer les Gris. Tu as encore des doutes sur ton utilité pour eux. Peut-être la sphère sociale couplée à ta force suffiraient-ils. Ou peut-être pas. Aussi cherches-tu à identifier d’autres Sangraves pour déterminer ce qu’ils recherchent. Tu ne peux guère aider niveau magie, mais ta capacité de non-manipulable est utile. Un véritable casse-tête. Il n’empêche, tu ne vois aucun camp à l’horizon. Sans doute te faut-il un peu de hauteur. Tu avises un des géants d’acier qui pavent ta route incertaine. T’accroche à ses ramures. Grimpe. L’ascension semble interminable. Agacé, tu t’assois sur une des épaisses branches de l’arbre, espérant distinguer quelque chose.

Voilà une heure que j'observe ce campement de Sangraves. C'est dingue qu'ils ne m'aient pas déjà repérée. Il faut croire qu'ils se relâchent depuis qu'ils nous croient finis. Le clan des Ombres fait le mort depuis la destruction du premier QG. On veut se faire oublier, le temps de se reconstruire. Faire croire qu'on a abandonné la lutte, trop peu nombreux pour continuer. Pour revenir plus forts et frapper un grand coup. Jusque-là, mon plan a l'air de marcher. Le problème, c'est que j'ignore encore comment frapper un grand coup.

En faisant le tour du campement une dernière fois, je repère une odeur humaine fraiche parmi celles de la forêt. En la suivant, je tombe sur un géant d'acier. J'hésite un instant avant de l'escalader. Étrangement, plus je me rapproche, plus je trouve un côté vaguement familier à l'odeur. J'ai pu rencontrer cette personne récemment, mais je ne parviens pas à retrouver de qui il s'agit.

Je grimpe tant que je finis par distinguer des jambes ballantes sur une branche plus haute. En me postant debout sur la branche voisine, je découvre son visage, surprise.

« ...vous êtes le batteur d'AUDACE ou je rêve ? »

Tu te retournes en sursaut. Dévisage la demoiselle qui te fait face. Comment est-elle arrivée là ? Que fait-elle ici d’ailleurs ? Une Sangrave ? Tu fronces les sourcils. Non, elle t’est familière. Wait… Comment connaît-elle AUDACE ? Un éclair de compréhension traverse ton regard. « Alexandre Nathanaël O’Nyme, enchanté. Pardonnez-moi, je ne me souviens pas de votre nom. » En revanche, tu étais positivement sûr de l’avoir rencontrée au mariage. Elle avait un rôle important, une marraine ou demoiselle d’honneur, tu n’es pas certain.

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On se toise. Il a l'air aussi surpris que moi. Voilà donc l'autre Alex du groupe. Mais qu'est-ce qu'il fiche ici ? Qui est-il réellement ?

« L'ilne, une amie d'Alexia. J'ai repéré votre trace à l'odeur. Parlons franchement, je ne peux pas croire que vous soyez là par hasard. Que faites-vous ici ? »

J'espère qu'il ne formalisera pas pour cette histoire d'odeur. J'ai moi-même fini par me faire fabriquer un gadget qui masque les odeurs quand je ne veux pas me faire repérer par mes comparses loups-garous.

Une amie d’Alexia… Soit, tu peux peut-être lui faire confiance. Jusqu’ici, l’honnêteté a plutôt bien fonctionné. Au pire, tu peux toujours essayer de la balancer par-dessus les branches en espérant qu’elle s’assomme. Les AutreMondiens ont la constitution solide. « Je traque les Sangraves. Et vous ? »

Son visage n'a pas l'air de mentir. Mais il existe de très bons comédiens, alors je reste sur mes gardes.

« La même. Donc, si je comprends bien, vous êtes une sorte de batteur agent secret ? »

L'ironie se fait sentir dans ma voix. Il y a, disons, 80% de chances que ce type me mente. Non, en fait j'en sais rien. Mais ça me parait quand même difficile à avaler. Si seulement j'avais un détecteur de mensonges ou un Diseur de Vérité sous la main...

Tu fais une moue dubitative. « On peut dire ça. Disons que je diversifie mes passe-temps. » Tu t’installes un peu plus confortablement sur ta branche d’arbre. Enfin, c’est relatif. Tu fouilles un instant dans tes poches, à la recherche de ta carte de visite. La tends à la demoiselle. Alexandre & Neo, détectives privés. Ça sonne légèrement pompeux, mais bon. Les Omoisiens aiment les choses de ce genre. « Disons que j’ai décidé de les éradiquer. Ou au moins Magister. Je ne pense pas qu’ils soient tous sadiques et psychopathes. Ça vous tente ? »

J'examine la carte, dubitative. Bon, pourquoi pas. Si c'est un piège, je trouverai bien un moyen de m'échapper à un moment ou à un autre. Si ce n'en est pas un... c'est que j'ai un putain de bol.

- Plutôt deux fois qu'une. J'ai des raisons personnelles d'en vouloir à ces connards.

C'est une demi-vérité, puisqu'à la base j'ai rejoint la lutte simplement par ennui. Mais maintenant...

- Et donc, vous avez un plan... inspecteur ?

Tu hausses un sourcil amusé. Tout le monde semblait avoir une dent contre eux. Pourtant, ils ne te semblaient pas bien méchants. Enfin d’après ceux que tu connaissais. « Bien sûr. » Tu n’es pas naïf au point de le lui donner de but en blanc. « Mais qu’est-ce qui me prouve que je peux te faire confiance ? »

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- Je ne peux pas vous donner de preuve formelle, je réplique en haussant les épaules. J'ai ça, si ça vous suffit. Ça fait une heure que je les observe.

J'ai sorti une liasse de papiers de ma sacoche. Ce sont les plans du campement gribouillés de ma main, accompagnés de tout un tas d’annotations sur les faits et gestes notables de ceux qui l'occupent. Leur nombre approximatif, leurs défenses visibles, etc. Ça vaut ce que ça vaut comme preuve (un Sangrave très préventif et paranoïaque aurait pu les rédiger aussi), mais lui aussi ne m'a rien donné d'autre qu'un bout de papier pour garantir son honnêteté. Et je ne râle même pas.

Soit. Ça suffira pour le moment. Tes yeux parcourent rapidement les annotations diverses de la lycanne. Impressionnant. Et tout ça en seulement une heure. « Je compte les détruire de l’intérieur. Les observer de loin ne nous aidera jamais assez, il faut des personnes sous couverture. » Tu relèves la tête. Est-ce que tu devrais parler de tes informateurs… ?

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Il a raison. À l'époque de Sai, il y avait des Ombres infiltrées chez les Gris. J'ignore s'ils sont encore en vie. Je n'ai aucune nouvelle d'eux, en tout cas, ce qui n'est jamais bon signe. Je hoche la tête, sans savoir trop ce que je peux lui révéler ou non.

- Évidemment. Vous comptez vous infiltrer chez eux vous-même ou vous avez des personnes sous vos ordres ?

À moins qu'il ne soit sous les ordres de quelqu'un ? Il n'en a pas l'air, lui et ce Neo sont décrits comme associés sur sa carte de visite. Tout ça devient fichtrement intéressant.

Elle semble intéressée. Ton instinct te crie de lui faire confiance, mais tu ne sais si tu dois poser tous tes pions. En révéler une partie devrait suffire. « Je ne vois pas pourquoi quelqu’un devrait prendre les risques à ma place. J’ai quelques informateurs qui devraient pouvoir m’infiltrer. » En revanche, dévoiler leur nom n’était pas une option. Elle pourrait le torturer qu’il tairait ces informations-là jusque dans sa tombe.

Les deux donc. Eh bien, il ne fait pas les choses à moitié. C'est exactement le genre de personnes dont les Ombres ont besoin. Des gens qui n'ont pas froid aux yeux.

- Vous m'intéressez. Je pense qu'on aurait tous les deux intérêt à collaborer.

J'hésite à lui parler ouvertement des Ombres. Il a l'air de préparer son affaire depuis un certain temps (suffisamment pour avoir des informateurs en tout cas). Il doit nous connaitre, au moins de réputation. Mais je ne peux pas l'emmener au QG, pas avant d'avoir totalement confiance en lui. Si sa robe est grise et que je fous tout en l'air, je ne me le pardonnerai jamais.

Tu souris. Vous êtes sur la même longueur d’onde. « Nous sommes d’accord. En revanche, cette branche commence à devenir très inconfortable. » Joignant aux mots les gestes, tu descends le géant d’acier et atterrit souplement sur ses racines.

- Hm, oui. On ferait mieux de s'éloigner.

Je descends à mon tour, le suivant de quelques mètres. J'en profite pour l'observer, l'air de rien. Malgré ses rides et ses mèches grises, il est sacrément agile pour un humain. Il doit s'entrainer régulièrement. S'il sait se battre aussi bien qu'il grimpe, il ne devrait pas avoir trop de mal à entrer chez les Sangraves.

Une fois en bas, je l'entraine à l'opposé du camp.

- Ça fait longtemps que vous préparez votre coup ? Comment avez-vous réussi à dénicher des informateurs ?

Elle t’entraîne un peu plus. Tu sens son regard peser sur ton dos. Ses questions s’immiscent dans ton esprit. « Assez longtemps, oui. Un an ou deux. J’ai quelques informateurs ici et là qui me dévoilent ce que je dois savoir. Et vous, que préparez-vous ? »

Elle, cela faisait quatre ans qu'elle avait rejoint les Ombres. Quatre ans de sa vie consacrée à la lutte contre les Sangraves. Mais un an ou deux, c'était déjà pas mal. Ah, il la questionnait finalement sur son propre plan. Bon, elle supposait qu'il en avait assez révélé pour qu'elle y aille plus franchement.

- Avez-vous déjà entendu parler du clan des Ombres ?

Au cas où ça tournerait mal... Elle n'aurait aucun scrupule à faire usage de la violence pour lui faire oublier ce qu'elle envisageait de lui confier.

Tu fronces les sourcils. Cela te disait effectivement quelque chose. « Une organisation non-gouvernementale de lutte contre les Sangraves non ? Vos méthodes sont apparemment réprouvées mais du peu que j’ai entendu, je n’ai rien trouvé de particulièrement choquant. » Tu la fixes un instant. « Vous en faites partie ? »

Il semble bien renseigné sur nous, effectivement. Et il ne fait pas partie de nos détracteurs. (En même temps, de la part de quelqu'un qui souhaite infiltrer les Sangraves, ce serait malvenu.) Tant mieux.

Je lâche simplement :

- J'en suis la chef.

Tu hausses un sourcil, surpris. Si jeune ? On est bien loin des vieillards croulants auxquels tu devais obéir. « Eh bien ça facilitera le dialogue. Je suppose que tu souhaites qu’on s’associe ? » C’était sans doute la meilleure chose à faire. En plus de quinze ans, les services secrets n’avaient pas progressé d’un pouce avec leurs méthodes, qui dataient sans doute de la préhistoire. Aux grands maux les grands remèdes. Il fallait innover, quitte à se brûler les ailes.

Tiens, il me tutoie maintenant. Tant mieux, je suppose qu'on sera amené à se côtoyer régulièrement désormais. Mais il n'a pas l'air plus impressionné ou surpris que ça. Bon, tant pis. Et j'ai déjà répondu à sa question tout-à-l'heure, en passant.

- Effectivement, comme je l'ai dit tout-à-l'heure, ça nous serait utile à tous les deux. Je voudrais rassembler le plus d'informations possibles sur eux dans un premier temps, afin d'être préparés au mieux quand on passera à l'attaque. Ce qui ne devrait être plus qu'une question de semaines.

Une question de semaines ? Elle va vite. Pour ta part, tu préfères tâter encore un peu le terrain. Tu comptes rejoindre prochainement les Sangraves, aussi ces quelques semaines de délai te semblent bien trop courtes. « Entendu. En revanche, quand vous parlez de passer à l’action, vous vous voulez dire les attaquer ? Les démasquer ? Ou simplement le début de l’infiltration ? » Ton instinct te hurle que ces quelques semaines pourraient être fatales.

Je le regarde sans ciller. Notons en passant qu'il est repassé au vouvoiement.

- J'ai dit passer à l'attaque, ça me parait clair. Il y a plusieurs mois, ils ont bombardé notre QG. Depuis, ils nous croient affaiblis ou mieux, morts. C'est le moment ou jamais de frapper. (Je fronce les sourcils.) Pourquoi ? Vous auriez besoin de plus de temps ?

Je n'avais pas prévu l'arrivée de nouveaux alliés, mais je ne pense pas que ce soit un gros problème de repousser nos plans. Il y a encore beaucoup de choses à planifier, de toute manière.

Allons bon, elle se précipite. C’est à ce moment-là que tu comprends pourquoi tes supérieurs avaient généralement dépassé la soixantaine. Parce qu’ils avaient l’expérience nécessaire à tous les types de situation. Et savaient conseiller les jeunes ambitieux qui foncent comme des boulets de canons. « C’est beaucoup trop tôt. Ils vous croient morts, profitez-en. Recrutez, agrandissez-vous, prospérez dans l’ombre. Ils ne s’attendront pas à ce que vous débarquiez nombreux. Qui plus est, j’ai besoin d’un certain temps pour m’infiltrer correctement. Il faut que j’atteigne les hautes sphères afin de vous donner leurs plans d’attaque. Et peut-être réussir à localiser la Forteresse. » Cela restait ton plus gros problème. Keylo avait dit qu’elle bougeait sans cesse, mais il devait bien y avoir un moment où elle se fixait quelque part.

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