Nouvelle entrée en scène

Située dans un enchevêtrement de canaux, Lasbon avait ce caractère de grandeur douce qu'on les anciennes capitales et ce charme des villes d'artistes. Partout les maisons colorées de vif et les façades peintes se répondaient dans l'air du soir, que les deux étoiles d'Autremonde inondaient d'or. Peintres, écrivains, musiciens, comédiens, tous se rassemblaient pour profiter de l'ambiance propice à la création et de la bonne conversation que l'on trouvait dans les nombreux cafés artistiques. Sur le grand boulevard qui encerlait la ville intérieure le Théâtre, l'Opéra, et les nombreuses salles de concert profitaient d'une affluence constante, attractions prisées par les touristes et lieux adorés des habitants. Dans les rues plus étroites, luthiers, relieurs et préparateurs de peintures se livraient une concurrence féroce au milieu des nombreux cafés et restaurants. Des musées regorgeants de trésors parsemaient la ville, tout comme les nombreux parcs et jardins alourdis sous la lumière intense des soleils, où les flâneurs se perdaient dans la douceur de l'ombre des arbres.  

Antonia avait toujours aimé cette ville, peut-être même plus que Travia. Quelque chose dans l'air semblait l'attirer vers la vieille capitale désormais presque obsolète, et c'était avec une affection certaine qu'elle en parlait. Alors quand un client lui avait demandé un charme empoisoneur pour une dague, elle était tout de suite partie pour Lasbon, sûre d'y trouver le quartz et les différentes plantes nécéssaires. Sans doute plus que de raison, des justifications bien raisonables de se trouver en ville s'imposaient à son esprit, mais qui lui semblaient plus des sophismes que de réels arguements. Sa présence en ville lui semblait poussée par le désir seul. Après tout, on trouvait ce fameux quartz au Lancovit. Et les plantes pouvaient être importées. Elle se sentait à la limite du coupable, criminelle, abandonnant sa soeur éperdue au chevet de sa mère malade pour fuir dans cette ville qu'elle aimait tant. Que pouvait-elle faire de toutes les façons ? On ne savait guérir ce mal dont ils étaient tous victimes. Sa mère avait été condamnée dès que son coeur avait faibli.

Ravie par ses pensées lugubres, la jeune femme remarqua à peine les clients de la taverne dans laquelle elle s'arrêta pour se reposer comme elle devait le faire régulièrement. Elle se laissa lourdement tomber sur un banc à une table vide, et Aloysius se posa sur le dossier d'une chaise près d'elle. Antonia lui jeta un regard attristé. Secouant légèrement la tête, le hibou lui transmit l'idée de l'Outremonde, ce paradis étrange. Elle soupira doucement et murmura :

"-L'idée de Mère devenant lentement folle d'ennui n'est pas vraiment le plus joyeux prospect, Loys. Mais merci tout de même."

Les yeux de l'oiseau semblèrent s'assombrir et Antonia caresssa doucement son plumage. Il fallait bien vivre de toute façon. Alors autant profiter se son passage dans la capitale.

Antonia reporta sn attention sur la taverne, détestant s'apitoyer sur son sort. Enfin, mais qu'était-ce que ce comportement ! Les Paetina n'avaient pas lutté contre la maladie pendant des années sans broncher, comme son arrière grand-mère, Aldreda, pour qu'elle se mette à pleurnicher maintenant ! Et puis de quoi avait-elle l'air, face à tous ces gens ? Une seconde ..., mais qui avait fait ce bracelet au poignet d'une jolie humaine à deux tables d'elle ? Mais, mais ..., c'est une honte ! Qui avait idée de réaliser un truc pareil ? Un travail de cochon, parfaitement ! C'était affreux, terriblement mal fait, abom...

" - Vous allez bien, mademoiselle ?"

Elle eut un sursaut et Aloysius cessa brusquement de fourrager dans ses plumes. Se retournant, ses yeux rencontrèrent ceux du client de la table derrière elle. A bien y regarder, des clients de la table derrière elle. Ils semblaient avoir entendu ce qu'elle avait dit à son Familler. Ou alors avaient-ils vu sur son visage sa fatigue ? Et dans tous les cas : de quoi je me mêle ? Non, non, elle devait se calmer. Ils faisaient ça sans doute par gentillesse. Ou par compassion, par pitié, par je ne sais quoi ! Il n'empêche que ce n'était pas très élégant. Oh, ça suffit les réflexions de vieille dame aigrie, Antonia, veux-tu te taire ? Elle mit un petit sourire sur son visage pour répondre :

" - Ne vous inquiétez pas, ce n'est qu'un peu de fatigue, j'ai l'habitude. Je vous remercie de votre souci, c'est très aimable de votre part."

Elle espérait que sa réponse serait satifaisante et qu'elle pourrait retourner à ses considérations joaillières, prendre un petit café, et aller chercher ce fichu cristal. Elle n'aimait pas vraiment s'épancher sur son cas, surtout avec des inconnus. Après tout, qui sait ce qu'ils allaient en faire, de ce qu'elle leur disait ? La jeune femme eut une pensée exaspérée. Antonia, pour l'amour du ciel ! Aie confiance une fois dans ta vie, idiote ! Et cesse tout de suite ce délire de persécution, ça devient ridicule ! Elle sentit au travers du lien, le sentiment fataliste d'Aloysius sur ce dernier point et retint un soupir irrité. Si il était d'un support sans faille, le hibou ne se privait pas pour jouer les consciences à deux crédits argent six. Brusquement, elle concentra à nouveau son attention sur ses interlocuteurs pour couper court à sa pseudo-analyse.