C'est un fameux trois-mats fin comme un moineau, hisse et ho ! [PV ma soeurette ♥]

Le Winchester était un bateau à trois mats, grand et large, récemment rénové, qui dormait dans un port de la côte Ouest de l'Empire d'Omois, prêt à partir pour de nouvelles aventures au cœur des océans AutreMondiens. Jusque là, rien de très extraordinaire. Mais ce bateau était l'objet de récentes rumeurs doutant de l'honnêteté de son équipage et de ses actions. Quelques bruits couraient que sur ce voilier étaient pratiqués des trafics de marchandises illégales, tels que des stupéfiants ou, plus probablement, des armes à feu. Le Winchester avait déjà été traîné plusieurs fois en justice pour assumer de ses actes, mais s'en était toujours sorti indemne de façon mystérieuse, et l'on n'avait jamais pu prouver officiellement ses méfaits. Certains soupçonnaient des histoires de corruption, mais là encore, rien n'avait pu être démontré.

C'est pourquoi le service de Voleurs Patentés Omoisiens avait décidé d'agir sur cette affaire. Si les forces de l'ordre n'étaient pas prêtes à les aider, les Voleurs Patentés, eux, se montreraient à la hauteur. Ainsi la mission était simple : deux Voleurs s'infiltreraient sur le bateau sans éveiller de soupçons, et devraient se renseigner sur la nature de ses actions. Et si c'était effectivement une affaire de trafic d'armes à feu, découvrir d'où elles viennent et comment le Winchester avait réussi à s'en procurer. Ils auraient aussi à récupérer des informations sur l'identité de leurs clients et le chiffre de leurs recettes. Une fois cela fait, les Voleurs rapporteraient le tout à Omois et l'Empire aviserait en conséquence. Abiliv Akanflaï, le thug chargé de la Sécurité des Ports de l'Empire d'Omois, était bien déterminé à faire enfin couler ce foutu bateau de malfrats. Sans mauvais jeu de mots.

On désigna donc les deux Voleurs chargés de l'affaire, ou plutôt devrais-je dire, les deux Voleuses. Deux sœurs, des jumelles, répondant aux noms de Lisa et Naomie Grey. On était un peu sceptiques pour la première, mais que voulez-vous, c'est la crise, et parfois, on n'a pas vraiment le choix. Ses missions n'avaient pas toujours très bien tourné, mais en règle générale, elle avait souvent réussi à s'en sortir pas trop mal, et c'était le principal. Quant à la seconde jumelle, elle paraissait plus mûre et réfléchie, et avait rarement déçu ses supérieurs. Ça ne devrait donc pas être si terrible que ça. D'autant plus que l'équipage du Winchester n'était pas non plus très réputé pour leur niveau intellectuel, il fallait bien dire ce qui était.

Lisa et Naomie arrivèrent donc au port de bonne heure en ce jour de Saltan, habillées d'une chemise blanche et ample, et coiffées d'un bandeau, rouge pour la brune et noir pour la rouquine. L'idéal pour passer inaperçues parmi toute cette foule de corsaires. Elles se présentèrent au sortcelier posté devant le bateau, qui vérifiait les noms des membres de l'équipage et s'assurait de ne pas laisser passer d'intrus. Lisa affirma d'une voix assurée :

« Deanna Bradbury. Et ma soeur, Samantha. »

Elles avaient évidemment auparavant trafiqué la liste nominative des membres de l'équipage afin de faire apparaître ces noms parfaitement inventés parmi les autres. Le sortcelier resta un instant immobile devant sa liste, puis hocha la tête et les laissa passer. Elles grimpèrent dans le bateau, non sans un sourire satisfait, puis se dirigèrent vers les cabines en saluant les marins sur leur passage. Une fois qu'elles furent seules, Lisa se tourna vers sa soeur et lui adressa un clin d'oeil.

« Première étape réussie ! On va tout déchirer, ma Nao ! »

Elle lui sourit, heureuse de passer du temps et de partir en mission avec sa soeur chérie. Bon. Le plan était simple. Le bateau allait bientôt larguer les amarres et naviguer jusqu'à... on ne savait trop où. Il suffirait de fouiller un peu partout discrètement, interroger le personnel mine de rien et surveiller de près tout ce qui se déroulerait à bord. Elles finiraient bien par découvrir quelque chose qui en vaille la peine.

Comme prévu, le bateau s'éloigna bientôt du port et quelques temps plus tard ce dernier disparut derrière l'horizon. Ils étaient en plein océan, quelque part au milieu de... nulle part. Quelque soit l'endroit où on regardait, il n'y avait plus rien d'autre qu'une immense étendue d'eau, parfois tâchée de quelques écumes blanches et de silhouettes de poissons. Lisa commença à se sentir mal. Hm, ce n'était pas trop le moment d'avoir le mal de mer. Elle espérait très fortement que le voilier arrêterait de tanguer autant pour qu'elle se concentre sur leur mission. Oh, et aussi, que le bateau ne ferait pas trop de mauvaises rencontres. Ce n'était quand même pas trop demander.

À peine quelques milles plus tard (voyez comme j'ai adopté le langage marin), une voix retentit dans les hauts-parleurs de chaque cabine. Lisa sursauta, à moitié malade à cause des tanguements du bateau, et trop occupée à essayer de calmer les balancements de son estomac. La voix leur cria à chacun de se rassembler sur le pont du bateau immédiatement. La jeune Voleuse lança à sa soeur un regard interrogateur, comme si elle pouvait répondre à sa question muette. Le rassemblement ne faisait pas partie du plan, et au-delà du fait que Lisa avait un peu la flemme de se lever et qu'elle préférait utiliser son temps à fouiller le bateau, elle avait aussi très peur que le capitaine ou quelqu'un d'autre se soit rendu compte de leur intrusion clandestine au sein de leur équipage. Elle sentit des gouttes de sueurs froides perler sur son front tandis qu'elle se levait et suivait sa soeur hors de la cabine.

Bien sûr, elle s'en faisait pour pas grand chose, elle le savait. Il y avait des milliers de raisons pour que le capitaine les convoque tous sur le pont, et très peu de chances qu'ils découvrent leur véritable identité. Et puis, ça leur donnerait une occasion de discuter un peu avec certains membres et leur soutirer discrètement quelques informations. Lorsqu'elles arrivèrent au lieu de rassemblement, une foule de marins s'y trouvaient déjà. Ça alors, ça faisait beaucoup de membres pour un bateau ! Les jumelles se postèrent debout entre un jeune corsaire coiffé d'un tricorne et un monsieur plus âgé et plus corpulent muni d'un crochet. Oh, un crochet. Que de souvenirs. Lisa ne put s'empêcher de soupirer en jetant un regard mauvais à cet objet qui fut un jour son arme contre son très cher super-pote, puis releva les yeux devant elle.

Un homme d'une quarantaine d'années, le capitaine sans aucun doute, habillé d'un long manteau en cuir marron, coiffé d'un large chapeau noir et portant une dent en or, s'avança devant la foule et s'adressa à son équipage :

« Mes chers compatriotes ! Aujourd'hui est un grand jour ! Aujourd'hui est un jour de gloire ! Notre bon vieux Winchester a quitté bon port à 18h02 et a fait bonne route jusqu'ici. Nous allons avoir un sacré bout de chemin à faire, et de gros clients nous attendent. Mais ce soir, on fête ! L'alcool est à consommer sans modération bien sûr, tout comme le reste du buffet ! Et je veux que ça danse, où croyez-moi que vous allez voir siffler mon sabre ! Je me suis fais comprendre ? »

Des cris de joie sauvages lui répondirent parmi lesquelles se glissèrent ceux de Lisa. Chouette, une fête ! Elles n'étaient pas vraiment là pour ça, mais après tout, elles pouvaient bien se le permettre. Et puis, il fallait bien jouer le rôle. Il était vraiment sympathique, ce capitaine. Difficile à croire qu'il faisait du trafic illégal par derrière.

« Alors, moussaillons, tous à vos postes maintenant et on se retr... »

Un hurlement terrifiant coupa sa phrase, bientôt imité par d'autres. Lisa écarquilla les yeux, ne comprenant pas trop ce qu'il se passait, et se demanda bêtement si ce n'était pas une tradition chez les marins de hurler comme ça. Puis elle eut l'intelligence de se hisser sur la pointe des pieds pour regarder ce qu'il se passait par-dessus la foule. Et elle hurla à son tour. Une énorme tentacule noire, géante, venait de surgir de l'océan à quelques mètres d'eux à peine. Elle replongea dans l'eau, mais une seconde en sortit. C'était mauvais signe. Vraiment très mauvais signe. Une voix un peu plus forte que les autres s'éleva, paniquée :

« Un kraken ! AUX ABRIS ! »

Une fête ? Génial ! On va pouvoir passer du bon temps et quand tous les marins seront bourrés comme pas possible, nous mènerons notre enquête ! Il est sympa ce cap'tain quand même, dommage qu'il fasse des choses illégales en douce... Je regarde l'assemblée de matelots. Tous ont un grand sourire. Cela ne m'étonne pas, certains d'entre eux ne doivent même pas avoir assez de pièces pour s'acheter un repas convenable.

Un hurlement le coupa dans son discours. Puis, d'autres cris surgirent peu à peu des autres membres... Lisa écarquilla ses yeux et je fis de même. Qu'est-ce qui leur prenait ? Ils avaient remarqué qu'il n'y avait pas assez de bouteilles pour la fête de ce soir ?
Lisa se hissa sur la pointe des pieds, et hurla comme les autres. Je m'éleva tant bien que mal et aperçut ce que tout le monde avait déjà vu. Une tentacule venant des profondeurs marines surgit et s'écrasa à quelques mètres de nous. Presque aussitôt qu'elle était apparue, elle repartie de là d'où elle venait. 
Nous n'étions pas au bout de nos peines.
Une seconde tentacule sortit comme la précédente et s'accrocha à un mâts. Une voix forte dans l'assemblée s'écria :

Quoi ? Pour une mission qui ce devait être simple, il fallait juste relever des infos et arrêter des potentiels trafiquants, on se retrouve ne pleine mer (ou océan) avec un Kraken !
La seconde tentacule tenait toujours le plus petit des mâts, le mât des misaine si mes souvenirs sont exacts, puis, il s'agrippa avec une troisième tentacule, à l'autre petit mât, le mât d'artimon.
Tout le monde sur le Winchester couraient dans tous les sens et criant et appelant à l'aide. Je regarde ma sœur, terrifiée. 
A ce moment-là, malheureusement, le Kraken passa à une autre phase.
La phase du "touché-coulé". Les deux tentacules tiraient maintenant, de sorte à ce que le navire coule sur le côté. Une autre voix cria à son tour :

-Agrippez-vous à tout ce que vous pouvez !

Je m'agrippa à un des canons, à seulement quelques mètres de moi. Puis, ce fus le chaos. Le navire s'enfonça bien dans l'eau sur le côté, et nous furent tous à la verticale.

Je cherchais des yeux ma Lili...  

Panique à bord. Le navire penche, à deux doigts de se renverser dans l’eau et de noyer tous ses occupants. Agrippez-vous à tout ce que vous pouvez. Comme si c’était si simple. Les mains glissent, les gens se bousculent, se marchent sur les pieds. On attrape tout ce qu’on peut, les mâts, les rampes, les cordages. Mais certains tombent, et personne ne peut rien pour eux. Les corps chutent lentement hors du bateau, atteignent la surface de la mer et disparaissent dans les profondeurs. Certaines têtes surgissent hors de l’eau, tentent de rester en vie. D’autres ne reviennent pas.

Et des cris, toujours des cris. Des hurlements de panique, de peur, de terreur. Les tentacules du kraken s’agitent, et celles qui ne tiennent pas fermement les mâts du bateau s’abattent furieusement sur le pont. Ecrasent quelques passagers. Détruisent les planches de bois qui recouvrent le sol. Il faut résister, échapper à ces bras meurtriers. Survivre. Chacun pour soi, chacun contre tous. On se pousse pour se protéger, on se laisse mourir parce qu’il faut s’échapper à tout prix. On ne peut pas s’attarder à tenter de sauver les vies des autres, au risque de perdre la sienne. On regrettera plus tard. D’abord, il faut s’abriter. Et survivre.

Agrippée fermement à une des rampes, les jambes suspendues à quelques mètres de l’eau, Lisa tourne brusquement la tête vers la gauche, puis vers la droite, en quête de la chevelure rousse de sa sœur. Elle a disparu dans le mouvement de panique, comme volatilisée. La sortcelière commence à imaginer le pire, elle pense à ces cadavres au fond de l’eau et elle imagine sa jumelle au milieu d’eux. Elle sent la peur lui dévorer le ventre, lui prendre la gorge, lui brouiller les yeux. Elle se met à hurler le prénom de Naomie, le plus fort possible, successivement, sans s’accorder de pauses. Mais la terreur la déconcentre, elle n’est plus capable de distinguer correctement les visages de ceux qui l’entourent.

« NAOMIE ! NAOMIE ! OU ES-TU ? NAO ! »

Elle va tomber, elle le sent, elle commence à sentir ses mains glisser sur la rampe. Le kraken a tiré plus fort sur les mâts et le Winchester est maintenant à la verticale, perpendiculaire à la surface de l’eau. Si ses mains lâchent, Lisa tombera et son corps heurtera les vagues de plein fouet. Elle sait nager, mais rien ne garantit qu’elle saura tenir bon une fois au milieu de cet océan agité, sans compter qu’elle pourra très bien se cogner la tête contre une partie du bateau et perdre connaissance. Si elle lâche, elle meurt. C’est presque certain. Alors elle serre les poings plus fort, tente de se hisser sur la rampe, sans grande réussite. Son corps se balance dangereusement dans le vide, et ses doigts glissent de plus en plus. Elle va tomber. Ce n’est plus qu’une question de temps.

Mais par miracle, le monstre relâche les trois mâts et le bateau retombe à l’horizontale. Lisa s’écrase mollement sur le sol, en vie. Elle soupire, soulagée, et relâche la barre. Ses mains sont douloureuses, mais elle a vu pire. Elle se relève et tourne la tête vers le kraken. Ses tentacules sont presque toutes levées au-dessus de lui, menaçant de s’abattre sur le Winchester comme un boulet de canon, et de le couler une bonne fois pour toutes. Il faut agir vite. Ou bien c’est la mort.

En regardant pour la énième fois à droite, Lisa la voit enfin. Naomie est debout près d’un canon, entourée de quelques pirates tout aussi terrifiés par ce qu’ils viennent de voir. Lisa court vers sa sœur, heureuse de la retrouver en vie. Elle se jette dans ses bras, sans prendre garde aux regards des autres.

« Naomie, mon dieu j’ai eu si peur !
- Naomie ? Je croyais que c’était Samantha ? »

Lisa se retourne vers le marin qui venait de parler, sans savoir quoi lui répondre. A vrai dire, les péripéties qu’ils venaient de subir lui ont fait totalement oublier leur mission. Flûte. Bon, elle s’en occupera plus tard. D’abord, se mettre à l’abri avant que le monstre se remette à vouloir les tuer tous. Elle saisit la main de sa sœur et lui crie de la suivre, puis court à grandes enjambées vers leur cabine. Malheureusement, elle n’est pas la seule à avoir eu cette idée, et les couloirs sont bouchées par la foule. Mon dieu, mais combien sont-ils sur ce bateau ??

« Poussez-vous, s’il vous plait, laissez-nous passer ! »

Des grognements s’échappent de la foule mais rien ne bouge. Tout le monde semble être dans la même galère. Il va falloir trouver un autre abri, où partir d’ici le plus vite possible avant que les tentacules du kraken ne recommencent à s’agiter.

Spoiler: