Quand une petite boule de poils très féroce rencontre une grosse boule de poils très féroce [Pv. Alice Arnauld]

    Je flânais dans les couloirs du Château Vivant, esquissant de temps à autres des petits pas de danse, atteinte par la bonne humeur de l'entité de pierre. Siúcra, sous sa forme naturelle me regardais, amusé par le sourire béat sur mon visage et par les ondes positives dont j'inondais son esprit. Je décidai d'aller m'allonger dans l'herbe bleue du parc. Je m'adossai à mon frère d'âme et laissai toutes mes pensées valser sans but dans mon esprit.

    Le parc était immense, empli d'animaux plus colorés les une que les autres. Je regardais un Mrrr poursuivre une Pouic et me dis que même si la Terre était plus fade en apparences, elle se révélait parfois beaucoup plus étonnante. Mais je pensais sans aucun doute cela pour la simple et bonne raison que j'étais née sur AutreMonde et que la magie avait bercé mon enfance. Si j'étais née sur Terre, comme notre Héritière, je n'aurais pas réagi de la même façon.

    Une idée décida de venir m'intéresser. Elle concernait mon service au Palais impérial d'Omois. En effet, depuis quelques mois maintenant, je me retrouvais sans Maître à seconder, mon précédent aillant décidé d'aller s'installer à Tahiti, sur Terre. Et pendant que lui se dorait la pilule au soleil sur une plage de sable fin en sirotant un cocktail de fruits, un collier de fleurs autour du cou, mon père devait m'apprendre tout ce qu'il pouvait sur la magie.

    Tout à coup je me redressais, surprenant mon Familier qui sursauta et me fixa de ses yeux dorés. Mais oui ! En voilà une idée qu'elle était bonne ! Mon père était un Haut Mage d'Omois, spécialisé dans les conflits politiques ! Un Haut Mage sans Premier ! Un sourire s'élargit sur mon visage. Je n'avais qu'à lui demander de me prendre comme Première et le tour était joué. Et puis si il ne pouvait pas m'aider sur certains sujets, il y aurait toujours Maman ou la Voix du Dévisatoir.

    Une autre réflexion me vint alors à l'esprit. À part Siúcra, je n'avais pas vraiment d'amis. Je n'était pourtant pas si asociale que cela ! Mon ours grogna et, tout en le regardant avec toute la tendresse du monde dans les yeux, je me dis que c'était peut-être justement parce que je l'avais lui que personne ne voulait être mon ami ! C'était fort probable, qui voulait avoir une amie dont le Familier était un carnivore plein de crocs et de poils de huit-cents kilos et de trois mètres de long ? Personne.

    Je regardais avec amusement un pauvre Bééé qui broutait l'herbe au beau milieu du parc et me fit la réflexion que finalement, ma machine de guerre était peut-être bien mieux que cet animal stupide pour partager son esprit en permanence.

    Tout en pensant à ce que pouvais bien retransmettre un Bééé à son compagnon d'âme, je rouvris mon esprit à mon Familier. Je l'avais fermé, préférant garder pour moi mes tristes pensées sur la douleur de se lier avec le plus gros carnivore terrien, de peur de le blesser ou de le vexer. Ce que je n'avais absolument pas prévu, c'est qu'il s'engouffre brutalement dans ma tête et qu'à travers mes yeux, il aperçoive l'animal laineux. Le souvenir de son dernier repas me revient. C'était il y a... Trop longtemps pour que quoi que ce soit ait subsisté dans son estomac. Et apparemment, il prévoyait que le prochain locataire de son ventre soit le pauvre herbivore.

    Avec une vitesse inouïe, il se redressa et fonça sur lui. Sans réellement réfléchir, je criais :

- Par le Pocus, je te paralyse et à cet animal sauve la mise !

    Mais un animal de cette puissance est difficile à contenir et très vite, la sueur perla sur mon front alors que je tentais de stopper la course de mon frère d'âme. Je devais vite trouver quelque chose pour arrêter Siúcra !

    Soudain, de mes yeux rendus flous par l'effort et la sueur, je vis une petite boule rose arriver dans ma direction. Un Krakdent, manquait plus que ça ! Une jeune fille courut derrière lui et l'attrapa en criant :

- Attention Junil ! Il y a un gros machin blanc qui arrive !

    Comment ça un gros machin blanc ? Mais Siúcra n'y prêta pas attention, concentré comme il l'était sur sa proie. Je tentais de le raisonner tant bien que mal mais il restait sourd à mes appels et mes ordres. Je ne savais plus quoi faire, je ne voulais pas qu'il mange cette pauvre bête sous prétexte qu'elle s'était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Mais le flux violet de ma magie commençait à faiblir.

    Mais qu'est-ce qu'elle fichait cette gourde ? Je jetai un rapide coup d’œil vers elle. Elle n'était pas très grande pour son âge et pas très mince. Une longue et épaisse crinière de cheveux noirs encadraient son visage rond à la peau claire. Ses yeux ambre étaient fixés sur mon Familier, emplis de curiosité. Son petit nez fin surplombant sa jolie bouche charnue. Elle était jolie. Mais restait désespérément plantée là, à me regarder me débattre contre un ours pour la survie d'un pauvre mouton débile.

    Elle tenait son Familier serré fort contre sa poitrine, ayant sans doute peur que Siúcra ne le dévore. Tu parles ! Lui tout ce qui l’intéressait c'était l'animal laineux et rien d'autre ! Si ça continuait ainsi, la brunette allait prendre racine. Un arbre noir, quelle blague ! Au milieu de toute la végétation colorée du parc plongé en pleine lumière solaire, elle ressemblait à un petit corbeau, un oiseau terrien. D'ailleurs, sur Terre, les corbeaux étaient des oiseaux de mauvaise augure. Cette fille n'avait rattrapé son Familier que pour le protéger de mon frère d'âme. Avait elle, en venant, l'intention de laisser sa peluche dévorer l'herbivore. Cette pensée me glaça d'effroi. C'était cruel.

    Je reportais mon attention sur mon ours, voyant la silhouette lugubre de la jeune fille du coin de l’œil. Je baissai les yeux sur ma tenue. Un chemisier blanc ouvert sur un débardeur rose pale, assorti à ma jupes à volants aux imprimés fleuris roses. Sous la force de la magie, mes ballerines blanches s’enfonçaient dans la terre. Je me dis que la jeune fille ne devais pas être très stable non plus vu les talons sur lesquels elle était perchée.

    Elle ne bougeait toujours pas, absolument pas décidée à me venir en aide malgré la détresse apparente qui émanait de ma personne. Perdant patience, je lui criai :

- Vous pouvez pas faire un truc genre lancer un protéctus sur ce Bééé là ? Je sens que je vais lâcher !

    J'espérais qu'elle ne se formaliserai pas de mon ton sec mais il m'avais été impossible de desserrer les dents.

    Lorsqu'elle percuta - enfin -, elle posa rapidement son Familier à terre et dit :

- Puisque tu le veux tellement... Par le protéctus je te protège ce qui est pour lui un sacrilège.

    Mes soupçons se confirmèrent : la jeune fille avait l'intention de servir cette pauvre bête en repas à son Krakdent. Je relâchai brusquement la pression de ma magie et faillit tomber à terre tellement l'effort avait été éreintant. Siúcra se jeta alors sur le Bééé... Et percuta violemment le bouclier de la jeune fille. La douleur fulgurante qui se répandit de mon nez au reste de mon visage m'arracha un grognement de douleur. Je portai mes mains à mon visage et de mes yeux emplis de larmes difficilement contenues, je vis la fille s'avancer en souriant vers moi et derrière elle, son monstre de Familier dévorer le pauvre herbivore que j'avais essayé de sauver de toutes mes forces. Je me redressai et constatai que j'étais plus grande que la brunette. Cela ne devait pas lui plaire d'être la plus petite car l'espace d'un instant, elle perdit son sourire. Il reprit bien vite le dessus et elle prit la parole.

- Excuse-moi pour tout à l'heure, je... j'étais choquée parce que je n'ai jamais vu d'animal comme ton familier. Je m'appelle Alice.

    J'allais lui répondre qu'il n'y avais pas de problème quand son sourire s'élargit. Je restai d'un calme olympien mais c'était au prix d'un énorme effort de volonté. La jeune fille en face de moi était une Vampyr ! Enfin, demi-Vampyr je dirai, vu sa taille, sa corpulence et la couleur de ses yeux. Ça expliquai maintenant son problème face à ma taille : les Vampyrs sont normalement très grands, et cette jeune fille devait tenir de sa partie humaine. Je me calmai. Pas la peine de devenir hystérique, si elle voulait me mordre, je serai déjà vidée de mon sang. Je lui répondis donc, sur un ton parfaitement détendu.

- Il n'y a pas de quoi, votre intervention n'a servi qu'à changer l'animal qui boufferai cette pauvre bête. Mon Familier est un ours polaire, c'est un animale terrien, c'est pour ça que vous n'en avez jamais vu. Et enchantée, moi c'est Rosaleen.

    Dans mon esprit, Siúcra me reprochait de ne pas l'avoir laissé manger ce qu'il voulait et que la peluche, elle, pouvait avaler n'importe quoi, sa maîtresse dirait toujours oui. Je me retournai vers lui et lui lançai un regard si glacial et foudroyant qu'il se tassa sur lui même et sa voix disparut de mon esprit. Je refis face à la jeune Vampyr et lui demandai, une touche de dédain dans la voix.

- Pourquoi avez vous laissé votre Familier dévorer ce pauvre animal sans défense ? Si il était dans ce parc c'était soit qu'il appartenait à quelqu'un, soit que les souverains du Lancovit l'avaient mis ici pour qu'il y reste. De plus, il ne faisait pas partie d'un élevage pour la viande. Pourquoi ne pas acheter de la nourriture à votre Familier, comme tout le monde ?

    Une fois ma tirade terminée, je m'assis dans l'herbe, encore essoufflée de mon effort précédent. Je m'appliquai à bien respirer et arrachai avec ardeur brin d'herbe par brin d'herbe pour passer le temps.