La forêt des augures

Vide.

Tellement vide.

Aucun espoir, ni volonté.

Quelqu’un aurait pu mourir qu’elle s’en serait fichue.

Quelqu’un était mort et elle s’en fichait.

Quelqu’un ? L’être aimé.

C’était probablement triste.

Non, pas probablement. Cela était réellement triste.

Pas la mort de l’être aimé, non, certainement pas cela.

En revanche, il était navrant de ne rien ressentir face à cette même mort.

Celle de l’être aimé. Ou bien peut être seulement l’être qui nous avait aimé.

Navrant.

De n’en avoir rien à foutre.

Vide.

Tellement vide.

Tiva passa une main magnifiée de résidus de carbone sur son visage trop pâle, appuya fort sur sa joue bercée de larmes, laissa une grande cerne noirâtre se tracer à la suite de son passage.

_Ennuyeux.

Elle fit de même sur la partie encore baignée de son visage, la sublimant d’un noir exutoire.

_Ennuyeux.

Quelque chose changea quand elle entreprit de s’essuyer une nouvelle fois la joue, étalant de manière brouillonne et laide le tracé de ses mains.

_Ennuyeux…

Elle réessaya. Ses gestes devinrent pugnaces , excités, compulsifs.

_... ennuyeux…

Avec une ardeur grandissante, au rythme crescendo de ce mouvement affolé, elle souffla, siffla, cracha, cria, hurla ce même mot, dont, en l’instant, elle saisissait terriblement la signification.

_...Ennuyeux, ennuyeux, ennuyeux ! ENNUYEUX !

Ses gestes, ses cris explosèrent dans un dernier accès de colère débridée ; quand sa frénésie atteignit son paroxysme, elle se stoppa soudain, livide.

Elle resta immobile quelque temps encore.

Retrouva une respiration oubliée.

Fit flotter un pâle sourire sur ses lèvres.

Se joua de ses yeux n’attestant pas l’expressivité de ses lèvres tendues.

Riva son regard vitreux sur l’entortillement indécent de la forêt.

Accentua son sourire, dévoila ses dents, sans pour autant dévoiler de gaieté de part ses iris verts.

Leva ses mains sombres et fit mine de livrer ses paumes aux cieux.

Referma ses doigts fins en serrant de sa pauvre force diminuée le poing, jusqu’à enfoncer ses ongles dans sa chair jusqu’à lors inviolée.

_Ha...

Ses yeux roulèrent jusqu’à rencontrer ce qu’ils avaient prévu de voir.

Ainsi elle rit.

Et entreprit de parfaire le chef d’œuvre dont elle était la bienheureuse martyre, la malheureuse auteure.

Ce qu’elle fit ; elle se pencha, inébranlable, au-dessus de l’horreur même, et s’enquit, missionnée, à rendre magnifique cette laideur qu’elle s’était fortuitement imposer. Minutieusement, avec un acharnement occulté, elle précisait les tracés les plus déchaînés, elle soulignait les ombres de plus de remords, elle accentuait les courbes les plus détraquées, elle s’appliquait à reproduire avec toute puissance et justesse la sublime terreur que ce dessin inachevé lui inspirait.
Il fallait le finir. Pour être sûre. Pour se donner à voir la vérité la plus crue, la plus pure.
Et ni son familier recroquevillé, suppliant sous la branche basse où elle trônait, ni son instinctive sensation d’être observée, lui indiquant que quelqu’un la guettait, ni son ouïe fine attaché à sa filiation elfique lui confirmant la proximité d’un être humanoïde, ne surent, et n’auraient su la faire se détacher de la seule tâche qui lui importait alors.

_Savoir.